Tendances
Texte: SYLVAIN MENÉTREY
Photo: ANA YAEL POUR IN VIVO

Relations sexuelles : NÉANT

L’inactivité sexuelle est en hausse chez les hommes de moins de 30 ans. Cette tendance observée aux États-Unis et en Allemagne ne semble toutefois pas concerner les femmes. Explications.

Les spécialistes en santé sexuelle se sont traditionnellement inquiétés des comportements à risque chez les jeunes, ou d’une initiation trop précoce à la sexualité. Plusieurs études internationales récentes ont de quoi les rassurer.

Selon une recherche américaine, la part des jeunes hommes qui n’ont pas eu de relations sexuelles sur un an a augmenté d’environ 60% depuis l’an 2000. Ils seraient désormais près d’un jeune sur trois inactifs sexuellement dans la tranche d’âge 18–24 ans.

Même constat en Allemagne, où la part des jeunes hommes entre 18 et 30 ans qui n’ont eu aucune relation sexuelle au cours de l’année était de 20% en 2016, contre 7,5% en 2005. Ce phénomène ne semble pas concerner les femmes, aux États-Unis du moins, où leur taux d’inactivité est resté stable autour de 20%. « Ce découplage pourrait s’expliquer par le fait que les jeunes femmes ont des relations sexuelles avec des hommes d’autres classes d’âge », avance Yara Barrense-Dias du Groupe de recherche sur la santé des adolescents d’Unisanté à Lausanne. Cette chercheuse a elle-même codirigé une étude sur la sexualité des jeunes Suisses en 2017, qui a montré un intérêt pauvre ou inexistant pour la sexualité chez une part de 6% d’hommes de 24 à 26 ans. « Comme la précédente étude portant spécifiquement sur la sexualité des jeunes en Suisse date de 1995 et qu’elle était menée selon des critères très hétéronormés, nous n’avons pas de recul historique », précise-t-elle.

Comment expliquer ces évolutions en Occident alors que la génération montante profite d’un bon accès à la contraception et à l’avortement, que le sida est devenu une maladie chronique et que la drague en ligne facilite les rencontres ? Faut-il s’alarmer de cette sexualité en berne, alors que de nombreuses études prouvent que le sexe consenti est un facteur de bonheur ?

L’une des hypothèses avancées par les chercheurs américains pour expliquer ce reflux serait la proportion croissante de personnes célibataires. « Nous remarquons en effet qu’une relation stable s’accompagne d’une fréquence sexuelle plus soutenue », confirme Yara Barrense-Dias. Le couple resterait donc l’espace privilégié de l’expression de la sexualité, en dépit d’une société où le plan cul est à portée de clic. « En cabinet, je vois pas mal de gens qui prônent l’anarchie relationnelle, mais j’ai l’impression que le mythe romantique selon lequel on va trouver la personne de sa vie n’est pas mort », confirme Zoé Blanc-Scuderi, sexologue et directrice du centre spécialisé dans les questions d’intimité Sexopraxis.

Selon elle, ce projet de grand amour exclusif serait contrecarré par les incertitudes du monde contemporain, qui s’accompagnent d’une difficulté à se projeter dans l’avenir, et donc dans un couple. Les auteurs américains observent d’ailleurs une augmentation des cas de dépression et d’anxiété chez les adolescents et les jeunes adultes qui pourrait expliquer une baisse de libido. Les hommes en situation économique précaire sont également moins actifs sexuellement.

Les jeunes découvrent la sexualité dans un monde moins normé que les générations précédentes. « Avec la nouvelle vague de féminisme, la redéfinition des rôles de genre et la sortie du modèle hétérosexuel, les hommes ne doivent plus prouver leur masculinité en couchant avec le maximum de partenaires. En même temps, ces changements peuvent aussi générer de l’insécurité », analyse la sexologue.

À cela s’ajoute le basculement de la drague en ligne qui peut renforcer les inégalités d’accès aux rencontres. Typiquement, l’algorithme de Tinder favorise les profils qui ont du succès au détriment des autres. « Les apps impliquent donc qu’on « matchera » plus avec certaines personnes belles, riches, diplômées, blanches, etc. », résume la sexologue.

La limite des études citées tient au fait qu’elles réduisent la sexualité à la pénétration, alors que la compréhension de celle-ci s’est largement étendue. « Une possible hypothèse serait une sexualité plus individuelle avec une autonomie facilitée par l’accès à la pornographie. Ce sont des pratiques qui permettent de se connaître, de savoir ce que l’on aime, pour avoir une sexualité épanouie plus tard », analyse Yara Barrense-Dias. D’autres facteurs comme le stress dans les études, ou des jeunes qui logent plus longtemps chez leurs parents en raison d’études prolongées sont avancés par la chercheuse. L’asexualité (voir encadré), qui correspond à une absence durable de besoin de s’engager dans une relation sexuelle, ne concerne que 1% de la population mondiale. C’est donc davantage du côté des conditions de vie et de l’évolution des pratiques sexuelles ‒ qui s’exercent autrement, par procuration, ou plus tardivement ‒ qu’il faut chercher les réponses à cette impression de sexualité plus frugale. /



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Le sexe en distanciation physique

2020 n’a pas été une année érotique, et 2021 ne semble pas non plus favoriser l’activité sexuelle. Les derniers mois ont été marqués par les multiples confinements et les impératifs de distance sociale.« Comme dans d’autres domaines, Internet a pris une place grandissante, observe la sexologue Yara Barrense-Dias. Le sexting a aussi certainement été très utilisé. Mais après un match sur Tinder, on fait quoi quand on est confiné ? » Réponse prochainement grâce à une étude que la chercheuse d’Unisanté mène sur le vécu des adolescents pendant le confinement.

Orientation asexuelle

Lou*, 18 ans, n’a jamais eu de relation sexuelle. Il se définit comme asexuel aromantique, c’est-à-dire dépourvu d’attirance sexuelle et sentimentale. Il a pourtant un « partenaire », rencontré il y a quelques mois dans un groupe de jeunes d’une association de diversités sexuelles. Leur relation est de l’ordre de « l’amitié particulière ». Lou approche la sexualité et les sentiments par l’intellect : « J’aime les choses carrées. J’ai besoin de catégoriser des comportements. » Il a découvert à 15 ans la vidéo d’un youtubeur sur l’asexualité qui semblait correspondre à sa situation. « Comme les orientations se fixent durant l’adolescence, je doute que la mienne évolue. » Passionné de sciences, de game design et de modélisme, il s’estime comblé.

*Prénom d’emprunt