Tendances
Texte: Clément Bürge
Photo: Gilles Weber

Le boom de la géomédecine

Les données géographiques peuvent en dire beaucoup sur l’état de santé d’un patient.

Jun 24, 2016

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Le projet GeoCoLaus (CHUV, HUG, EPFL) a été retenu parmi l'un des six Best Swiss Articles of the Year 2015 avec présentation orale au Congrès suisse de cardiologie qui a eu à l’EPFL. Pour lire l'article, c'est ici.

Le TED de Bill Davenhall

Lorsque Bill Davenhall a eu 55 ans, il a commencé à souffrir de problèmes de cœur. Même s’il savait qu’il avait une prédisposition génétique à développer ce type d’affection, il voulait savoir ce qui avait déclenché l’avènement de la maladie.

«J’ai décidé d’analyser les endroits où j’avais vécu», explique-t-il. Les dix-neuf premières années de sa jeunesse, il habitait dans une zone rurale de Pennsylvanie, où l’extraction de gaz naturel était fréquente. «J’y ai respiré du dioxyde de carbone et du méthane en grande quantité.» Puis, il s’est déplacé en Louisiane, pour s’installer dans une ville adjacente à une fabrique de plastique. «J’y ai passé vingt-cinq ans à respirer du chlorure et du benzène.» Quelques années plus tard, il a déménagé à Los Angeles. «C’est une région bourrée d’ozone et de dioxyde de carbone, dit-il. Lorsque l’on observe la répartition géographique des personnes souffrant de problèmes cardiaques, je me trouvais à chaque étape de ma vie dans les zones les plus à risque pour contracter ce genre de maladie.»

Cette découverte a chamboulé sa vie: «Aurais-je choisi d’habiter dans ces endroits si j’avais su à l’avance que j’augmentais mes chances d’avoir des problèmes de cœur? Certainement pas.»

Présentée lors d’une conférence TEDMED en 2009, l’application mobile My Place History permet aux utilisateurs américains d’inscrire les différents lieux où ils ont séjourné au cours de leur vie. Ils peuvent ensuite confronter leur «itinéraire» aux données des organisations gouvernementales telles que le «Toxics Release Inventory», un inventaire répertoriant les substances toxiques présentes dans ces régions et auxquelles ils ont pu ou peuvent alors être en contact.

Aujourd’hui, Bill Davenhall se consacre à la promotion de l’utilisation de données géographiques en médecine, ce que l’on nomme la géomédecine. «Ces informations sont toutes aussi importantes que mes prédispositions génétiques ou mon mode de vie, raconte-t-il. Pourtant, aucun médecin ne m’a jamais posé de questions sur mon lieu de vie.» Son idée: intégrer des données géographiques aux dossiers médicaux des patients. «Le médecin pourrait alors savoir si une personne a été exposée à des produits chimiques ou des gaz toxiques. Les diagnostics seraient par conséquent plus précis», dit-il.

L’obésité à Genève

En 2014, de plus en plus de personnes se consacrent à la géomédecine. Cela même si la discipline existe depuis longtemps. En 1853 déjà, l’épidémiologiste John Snow avait utilisé une carte des points d’eau à Londres pour retracer l’origine d’une épidémie de choléra.

Idris Guessous, un épidémiologue qui travaille pour le CHUV et les HUG, suit la même méthode. Il vient de publier, en mars 2014, une étude sur l’obésité dans le canton de Genève.

«Nous avons observé où se trouvaient les personnes en surpoids dans le canton pour vérifier si ces gens étaient regroupés spatialement», explique le médecin. Ses conclusions se sont avérées intéressantes. Le chercheur a découvert une accumulation de personnes avec le même poids sur la rive gauche. Les gens y étaient plus maigres que sur la rive droite.

Idris Guessous avance trois explications à ce regroupement: premièrement, la restauration rapide s’est davantage implantée sur la rive droite du canton, facilitant l’accès à de la nourriture grasse. Les infrastructures sportives, en revanche, sont mieux développées sur la rive gauche. Il est donc plus facile d’y faire de l’exercice. «La troisième raison est d’ordre sociologique: nous avons découvert un effet de groupe, dit le chercheur. Lorsque les gens vivent ensemble, ils ont tendance à adopter des comportements similaires, ce qui les pousse à avoir le même poids.» Il est en train d’étudier les raisons exactes de ce phénomène.

Ses découvertes sont précieuses: elles pourraient servir à développer de nouvelles stratégies pour lutter contre l’obésité. «Les cartes que nous avons dressées permettent à l’Etat de savoir où construire des infrastructures sportives et où lancer des campagnes de prévention», explique l’expert. A terme, une fois établi le mécanisme qui amène les habitants de certaines zones à rester plus minces, il s’agira «de transposer les habitudes saines de ces quartiers aux autres», conclut-il.

Boom technologique

Le récent développement de la géomédecine s’explique notamment par l’arrivée des nouvelles technologies. «Il est bien plus facile qu’auparavant de collecter des données, nous en avons davantage et avons les logiciels qui nous permettent de les traiter de façon rapide, explique Idris Guessous. Nous pouvons envoyer un hélicoptère au-dessus du territoire genevois pour récolter des centaines de milliers de données. Nous pouvons aussi calculer les taux de pollution à la minute près, ce qui était inimaginable auparavant.»

La miniaturisation des appareils électroniques (GPS, drones, etc.) et l’arrivée des smartphones ont aussi transformé le domaine. Marcel Salathé, un chercheur suisse à l’Université de Pennsylvanie aux Etats-Unis, a développé crowdbreaks.org, une plate-forme qui traque les maladies. «Nous puisons des informations sur Twitter pour détecter en temps réel où se développent certaines affections, explique-t-il. Le système nous permet
de les géolocaliser.» Google a aussi développé Google Flu, qui se base sur les recherches en ligne pour savoir quelles régions sont touchées par la grippe. Lorsque les mots «maux de tête» ou «rhume» sont introduits fréquemment dans le moteur de recherche, cela signale l’existence d’un foyer de maladie.

«Aurais-je choisi d’habiter dans ces endroits si j’avais su à l’avance que j’augmentais mes chances d’avoir des problèmes de cœur? Certainement pas.»

Le médecin britannique John Snow (1813-1858) est reconnu comme le fondateur de l’épidémiologie. Il a observé l’épidémie de choléra qui a sévi en 1854 à Londres. En analysant le taux de mortalité des différents quartiers de la ville, l’épidémiologiste a découvert que la maladie se transmettait par une eau impure pompée à proximité des égouts de Soho.

Ces nouvelles technologies ont aussi donné naissance à une série de gadgets qui permettent d’améliorer les traitements, en se fondant sur la géomédecine. Bill Davenhall a développé une application pour smartphone nommée My Place History, permettant d’introduire l’emplacement de son domicile et d’évaluer les risques pour sa santé associés à ce lieu. David Van Sickle, anthropologue médical et fondateur de la start-up Propeller Health, a pour sa part développé un inhalateur pour personnes asthmatiques équipé d’une puce GPS qui permet de savoir où ses patients utilisent l’engin. «Cela nous montre quels environnements les poussent à avoir des crises d’asthme, explique David van Sickle.

Nous pouvons ainsi dire à nos patients d’éviter d’aller dans des zones où ils savent que l’atmosphère leur causera des problèmes.» Ou simplement de mieux comprendre les mécanismes de la maladie. «Nous avons découvert lors d’une étude dans le Wisconsin que les gens à la campagne utilisaient plus souvent leurs inhalateurs que les personnes en ville, ce qui va à l’encontre des études actuelles», qui partent du postulat que l’asthme est causé par la pollution.

Mais ces renseignements géographiques posent aussi de sérieuses questions de protection des données: que se passera-t-il si des entreprises mettent la main sur notre dossier géomédical? Une assurance pourrait-elle augmenter les primes d’un client sur la base de

son historique géographique? «Nous devons faire très attention à l’utilisation de ces données, explique David van Sickle. Les patients doivent pouvoir contrôler les informations qu’ils divulguent. C’est crucial.» Bill Davenhall se veut plus optimiste: «La géomédécine va considérablement améliorer nos traitements: la prise de risque en vaut bien le coup.»

«Des millions de substances toxiques nous entourent»

Un récent rapport d’une équipe de chercheurs de l’Université d’Harvard identifie et met en garde contre de nouvelles substances chimiques pouvant affecter notre système nerveux. Décryptage avec Nathalie Chèvre, écotoxicologue à l’Université de Lausanne (UNIL).

IV Qu’apporte cette étude dans la recherche sur les produits neurotoxiques?

Nathalie Chèvre L’intérêt porté aux produits polluants date des années 1920, et des études en discutent déjà dans les années 1950. La nouveauté de ce rapport est que les substances identifiées sont avérées et reconnues comme pouvant affecter le système nerveux. On estime toutefois qu’il existe près de 100’000 substances chimiques sur le marché qui peuvent se retrouver dans notre environnement. Et chacune d’elles peut donner naissance à d’autres composants qui, dans l’environnement, se dégradent et créent d’autres molécules potentiellement toxiques.

IV A quel degré sommes-nous exposés à ces produits?

NC L’étude répertorie des substances comme le manganèse, le fluorure, le pesticide chlorpyrifos-éthyl, le plomb ou encore les polybromodiphényléthers (dits PBDE, un ensemble de produits ignifuges, ndlr). Elles se trouvent toutes un peu partout! Dans les poussières, les sédiments, dans les aliments ou sur les textiles… Et pourraient avoir un effet sur la santé à la suite d’une longue exposition à de faibles doses.

IV Qu’en est-il de leur impact sur les enfants?

NC Parmi ces substances, le mode d’action du chlorpyrifos-éthyl est vraiment bien connu. Cette molécule entraîne une sur-stimulation du système nerveux et perturbe le comportement chez les adultes comme chez les enfants. Ces derniers y sont plus sensibles du fait de la fragilité de leur système nerveux encore en formation. Ils peuvent alors développer des troubles neurologiques importants tels que l’hyperactivité. Il n’y a pas de solution miracle pour se protéger des substances chimiques, mais laver ses vêtements avant de les porter ou manger bio ou local constitue déjà un premier pas. En comparaison, nous sommes plutôt chanceux en Suisse, les normes et réglementations en la matière sont déjà nombreuses.



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