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Texte: Audrey Magat

Les coûts de la recherche sous le microscope

Fondamental pour l’attractivité d’une université, le matériel de pointe des laboratoires représente un investissement important pour les institutions. De nouvelles formes de financement plus collaboratives se mettent en place.

L’image du scientifique enfermé dans son laboratoire secret, qui s’échine sur ses machines futuristes, est une image d’Épinal du cinéma de science-fiction. Loin de la dramaturgie de ces films, la recherche scientifique a cependant bel et bien besoin d’instruments de prospection. Les universités doivent en effet investir dans du matériel sophistiqué pour leurs chercheurs.

Le Cellular Imaging Facility (CIF), fondé en 2003, fait partie de la douzaine de plateformes mises en place par la Faculté de biologie et de médecine (FBM) de l’Université de Lausanne (UNIL). Il possède un parc de machines dont la valeur s’élève à 10 millions de francs. Des chercheurs de la FBM et du CHUV y travaillent sur trois sites: Bugnon, Dorigny et Épalinges. Le CIF leur offre la possibilité de travailler sur des appareils de pointe qui ouvrent à de nouvelles techniques: la macroscopie fluorescente, la micro-dissection, la capture laser, l’imagerie in vivo ou encore la microscopie confocale. Cette dernière technique permet par exemple d’obtenir des images précises en trois dimensions de tissus biologiques marqués préalablement en fluorescence. Ces microscopes offrent donc de nouvelles opportunités de recherche scientifique.

«Ces appareils peuvent être utilisés pour tous types de recherche, sur des corps végétaux, sur des micro-organismes, des bactéries, des coupes de cerveaux, des parasites, etc. Ces instruments sont très polyvalents», renseigne Jean-Yves Chatton, maître d’enseignement et de recherche en neurosciences à l’UNIL et responsable du CIF. Cet éventail de possibilités permet de regrouper un grand nombre de chercheurs qui travaillent en parallèle et en collaboration. C’est le cas par exemple des recherches biomédicales menées conjointement par des chercheurs de la FBM et du CHUV. Ces équipements constituent donc une plus-value colossale pour les chercheurs, et sont même «obligatoires pour la recherche en biologie et médecine aujourd’hui», affirme Yannick Krempp, expert technique du CIF Bugnon.

Mandats externes

Les entités dont dépendent les chercheurs financent une grande partie des coûts liés à la recherche. Des fonds externes viennent compléter les budgets. Le plus connu est le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS), qui encourage l’innovation par la mise à disposition de bourses et de subsides aux chercheurs et aux universités. Les fonds peuvent également provenir du Conseil européen de la recherche qui à l’instar du FNS, renouvelle généralement ses financements tous les 3 à 5 ans en fonction de la progression des travaux.

En ce qui concerne plus spécifiquement l’acquisition de matériel, le FNS a créé R’Equip («Research Equipment»). Cette aide s’adresse aux chercheurs qui ont besoin d’appareils innovants de haute qualité pour exécuter leurs recherches, et ce, quel que soit le domaine scientifique. Le FNS accorde alors des subsides pour l’achat d’équipements à hauteur de 50% du prix. Ce sont généralement les universités qui s’engagent à financer l’autre moitié si le projet du chercheur est validé. «Ce modèle est assez compliqué, mais il fonctionne. Le projet doit être vraiment innovant», commente Jean-Yves Chatton.

Des fondations privées peuvent aussi soutenir des projets spécifiques, de recherche ou d’échange à l’étranger.

Certaines d’entre elles ont des critères précis, comme la Bourse Pro-Femmes, qui encourage les femmes chercheuses aux carrières scientifiques. D’autres organismes financent les recherches portant sur une maladie spécifique, contre le cancer ou contre les lymphomes, par exemple. Enfin, des mandats privés et des collaborations industrielles peuvent aussi alimenter les comptes des instituts de recherche. L’université facture alors l’utilisation de ses machines aux entreprises.

Publication et notoriété

Pour les universités, l’investissement dans la recherche est rentable à divers niveaux.

«Aujourd’hui, pour avoir une chance de publier leurs recherches dans les meilleurs journaux scientifiques, les chercheurs doivent tester leurs hypothèses avec une technologie récente», explique Jean-Yves Chatton.

«Ce sont ces publications qui permettent aux universités de bien figurer dans les classements et qui les rendent compétitives.»

L’université a donc intérêt à encourager ses chercheurs, puisque sa notoriété dépend du dynamisme de son pôle de recherche. En se dotant d’outils tels que le CIF, l’université se distingue et gagne en attractivité. «C’est un mécanisme vertueux. La renommée est gagnée petit à petit grâce à des chercheurs de haut niveau qui viennent parce que les infrastructures le permettent», résume le responsable de la plateforme.

Dans cette course à la notoriété internationale, de nouvelles formes de financement astucieuses gagnent les instituts de recherche. C’est le cas de l’économie partagée (ou «sharing economy»), un phénomène analysé par Rachel Botsman et Roo Roggers dans le livre What’s mine is yours, the rise of collaborative consumption (Ce qui est à moi est à toi, la montée de la consommation collabora-tive). Une structure transversale comme le CIF de Lausanne symbolise cette mutualisation de biens qui seraient difficilement abordables pour une seule entité. Les chercheurs de la FBM, les médecins du CHUV, mais aussi des entreprises privées partagent l’accès à ces équipements. «Pour un groupe de recherche, il est onéreux d’avoir ses propres machines. La structure, les moyens, et la personne qui a toutes les compétences pour les utiliser de manière optimale sont nécessaires», explique Yannick Krempp. «Auparavant, les chercheurs voulaient leur propre matériel et leur spécialiste attaché à leur groupe de recherche. On voit maintenant que les nouvelles générations ont tendance à mutualiser», confirme-t-il.

Avenir collaboratif

Pour certaines recherches, le partage n’est pas toujours adapté. «On ne peut pas mener tout type de recherche sur une plateforme. Certaines expériences longues nécessitent des réglages très précis et complexes. Cela devient donc contre-productif de partager, car on doit tout repositionner à chaque emploi», nuance Jean-Yves Chatton.

Néanmoins, Yannick Krempp, technicien du parc de machines de la FBM, pronostique un avenir toujours plus collaboratif. «On pourrait même imaginer des échanges plus transversaux, avec l’EPFL par exemple, pour l’étude des datas.» À Lausanne, le projet AGORA s’inscrit dans cette ligne. Financé par la Fondation ISREC, le bâtiment achevé en 2018 est un pôle de recherche contre le cancer. Il allie recherche fondamentale et clinique, en réunissant des chercheurs de l’UNIL, de l’UNIGE, de l’EPFL, du CHUV, des HUG et de l’Institut Ludwig. À la manière de l’économie collaborative, leurs compétences se complètent autour d’une même infrastructure.



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C'est la part, en pour cent, financée par le Fonds national suisse de la recherche scientifique lorsqu'il fournit une aide pour équiper un laboratoire en matériel de recherche. La seconde moitié des coûts doit être couverte par les institutions hôtes.

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C'est la valeur, en millions de francs, des appareils optiques de la plateforme Cellular Imaging Facility où travaillent des chercheurs de la FBM et du CHUV.