Prospection
Texte: Annegret Mathari
Photo: ALEXANDRA WEY/KEYSTONE

Les lourdes conséquences de la pandémie

Le poids moyen des Suisses a augmenté de plus de 3 kg durant le confinement. Cette évolution inquiète les spécialistes de la santé.

En 2020, les Suissesses ont pris 3,3 kg en moyenne, selon une étude menée par l’Université de Saint-Gall. Une augmentation hors normes en regard des autres années où la prise de poids moyenne n’était que de 100 g par personne. « Ces chiffres sont d’autant plus frappants qu’ils peuvent paraître en décalage total avec l’image renvoyée par les réseaux sociaux durant les semi-confinements, où un retour généralisé à un mode de vie plus sain était montré », explique Lucie Favre, médecin associée au Service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme du CHUV. La réalité est bien différente. Derrière la mode du pain fait maison et du retour de la cuisine à domicile avec des produits locaux, de nombreuses personnes étaient durant cette période en situation de détresse.

La stigmatisation, un frein à la consultation

L’obésité a été reconnue comme une maladie chronique et complexe en 2008. Pourtant, de nombreuses personnes souffrent de stigmatisation dans les soins. Le personnel médical leur reproche parfois de manger trop ou de faire trop peu d’exercice, alors que ces personnes ne parviennent souvent pas à perdre du poids malgré leurs efforts. Ces mises en échec répétées peuvent augmenter les troubles anxieux et rendre ces personnes encore plus vulnérables à la prise de poids. Les cabinets et les hôpitaux manquent aussi de matériel adapté. Tant au niveau de l’infrastructure (lits, sièges) que des dispositifs tels que des tensiomètres adaptés ou encore des attelles à la bonne taille.

La crise sanitaire a aussi eu un effet sur la prise de conscience du problème de l’obésité.

Le scaphandre qui mesure le métabolisme

Les besoins énergétiques d’un individu sont composés essentiellement du métabolisme de base et des dépenses en lien avec l’activité physique. Pour connaître avec précision les dépenses énergétiques de base, c’est-à-dire l’énergie requise pour maintenir l’activité métabolique des tissus, l’activité cardiaque ou la respiration, on peut effectuer une calorimétrie indirecte.

Lors de ce type d’examen, une sorte de scaphandre déposé sur le visage des patientes mesure la quantité d’oxygène utilisée et le rejet du dioxyde de carbone. Le métabolisme de repos est particulièrement influencé par la masse musculaire et cela explique les différences liées au sexe puisque cette masse est majoritairement plus importante chez les hommes.

En clinique, le métabolisme de base est rarement mesuré mais on peut prédire de manière fiable les besoins métaboliques d’une personne à l’aide de formules qui tiennent compte du sexe, du poids, de la taille et de l’âge de la personne.

« Dès les premières semaines de semi-confinement, nous avons constaté une accentuation des troubles alimentaires chez nos patientes lors des consultations téléphoniques que nous avions maintenues. » En effet, s’il est plutôt conseillé à une personne en situation d’obésité de limiter ses réserves alimentaires, le contexte de la pandémie invitait, au contraire, à faire des courses plus importantes pour restreindre les contacts entre les individus. Cela a eu un effet sur la prise de poids. Mais pas seulement. « La diffusion à travers les médias ou sur les réseaux sociaux d’images témoignant d’un retour aux sources et d’une alimentation plus saine participe aussi à renforcer la culpabilité que les personnes en surpoids peuvent ressentir. C’est très néfaste et cela peut augmenter leur sentiment d’incapacité à gérer la situation et engendrer des prises alimentaires compulsives. »

Le confinement et la généralisation du télétravail ont aussi limité la possibilité de faire de l’exercice physique. « Pour une majorité de la population, la seule activité physique est de se rendre sur son lieu de travail », précise Lucie Favre.

L’utopie de l’égalité des chances

Il est certain que la prise de poids est toujours liée à un déséquilibre entre l’apport calorique et l’énergie dépensée. Pourtant, il ne faut pas croire que nous sommes tous égaux face à la prise de poids. Les scientifiques ne parviennent pas encore à expliquer pourquoi certaines personnes sont plus vulnérables à la prise de poids que d’autres.

Contrairement à ce que l’on pourrait s’imaginer, une personne en surpoids n’a pas forcément un mauvais métabolisme. « Le fonctionnement du métabolisme énergétique est complexe, détaille Lucie Favre. Même en franchissant la même distance à pied, deux personnes pourront dépenser une quantité d’énergie totalement différente. Et cela ne tient pas au métabolisme lui-même, mais à la façon, par exemple, de mobiliser son corps. » C’est également le constat d’une étude parue en août dernier dans la revue Science : c’est seulement à partir de 60 ans que l’on mesure une diminution des dépenses énergétiques. Entre 20 ans et 60 ans, le niveau des dépenses énergétiques reste stable.

La pandémie a aussi eu un effet sur la prise de conscience du problème de l’obésité. Au sein de son service, Lucie Favre a mesuré une augmentation de 25% des demandes de consultation. « Comme le Covid a touché énormément de monde et que le surpoids était considéré comme un facteur de risque pour une évolution sévère de la maladie, les personnes concernées ont réalisé que l’obésité est une maladie, et qu’il était important de la prendre en charge. » /



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