Prospection
Texte: ANTONIO ROSATI

Nuisances sonores, un mal silencieux

Le bruit représente une menace majeure pour la santé et peut causer des pathologies graves, jusqu'à l'infarctus. Des maux qui en font la deuxième cause de mortalité parmi les facteurs de risques environnementaux.

Ce sont ces roulis réguliers des voitures, ces éclats de voix des passants, les outils du chantier voisin. Les nuisances sonores, apparemment inoffensives et souvent non perçues, peuvent en réalité dégrader la santé. «Le sommeil peut être interrompu par des micro-réveils, généralement d’une durée d’une à trois secondes environ, que notre cerveau ne perçoit pas mais qui nous font néanmoins sortir du sommeil sans qu’on s’en souvienne, explique Raphaël Heinzer, directeur du Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil (CIRS). Ces stimulations peuvent être associées à des activations du système nerveux autonome, celui qui gère notre rythme cardiaque et notre pression artérielle. Si leur nombre est élevé, cela peut provoquer des augmentations répétées de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle avec potentiellement un risque de développer des maladies cardiovasculaires.»

D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les nuisances sonores sont la deuxième cause de morbidité parmi les facteurs de risques environnementaux, derrière la pollution de l’air. En effet, chaque année dans l’Union européenne, 12 000 morts et 48 000 maladies cardiovasculaires sont attribués aux bruits routiers et autres nuisances sonores, selon les chiffres de l’Agence européenne de l’environnement. En Suisse, une personne sur sept est exposée à un bruit routier excessif à son domicile le jour, et une personne sur huit la nuit, soit près d’un million de personnes. La plupart vivent dans les grandes villes ou en périphérie, avec de nombreuses collectivités qui se trouvent en état de non-conformité par rapport au cadre légal, malgré les mesures de prévention prises par les autorités (lire encadré). Selon les estimations de la Confédération, les coûts liés au bruit généré par la circulation se sont élevés à 2,7 milliards de francs en 2017. Ils ont été calculés en prenant en compte des études épidémiologiques mettant en relation exposition au bruit et effets négatifs sur la santé, pertes de valeur des lieux de vie et autres coûts immatériels.

PRÉVENIR LE BRUIT ROUTIER EN VILLE

« La Suisse prend peu à peu conscience des effets néfastes du bruit sur la santé. Le cadre légal national date de 1983 et fixe des valeurs limites, tout en exigeant des mesures de réduction des émissions (revêtements phono-absorbants, véhicules silencieux, modération du trafic) et de protection via des dispositifs antibruit (murs ou buttes). « Le dernier délai pour la mise en œuvre du dispositif avait été fixé à 2018, précise Myriam Pasche, co-cheffe du Département Promotion de la santé et préventions à Unisanté. Malgré cela, de nombreuses communes sont aujourd’hui encore non conformes, avec des émissions de bruit largement au-dessus des limites imposées par le législateur. »

Pour réduire l’impact des nuisances sonores sur la population, il existe pourtant des solutions, à l’instar des radars à bruits afin de sensibiliser sur les effets de la vitesse, des revêtements phono-absorbants des routes, de la réduction de la vitesse maximum en ville. « Lausanne est devenue la première ville de Suisse à mettre à l’enquête une réduction de la vitesse à 30 km/h la nuit avec l’objectif de limiter les nuisances sonores, souligne Christelle Benaglia, directrice administrative à Unisanté, et qui a travaillé activement pour la modération du trafic routier en ville de Lausanne. Une telle mesure reste peu onéreuse à mettre en œuvre et réduit l’impact sonore du trafic de 2 voire 3 décibels, ce qui suffit à diminuer de moitié la perception de ce type de bruit. »

HORMONES DE STRESS

Selon l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), les nuisances sonores provoquent des réactions nerveuses et la sécrétion d’hormones du stress telles que l’adrénaline, la noradrénaline ou le cortisol. L’exposition à des pics sonores, même s’ils ne provoquent pas le réveil, produit autant de pics d’hormones liées au stress. L’étude nationale sur la santé des Suisses, publiée en 2017, a constaté le lien entre exposition aux bruits et maladies limite pour les nuisances sonores nocturnes à 45 décibels, ce qui correspond au bruit émis par un réfrigérateur ou par une pluie modérée (le trafic citadin se situe à 70 décibels). L’Institut tropical et de santé publique suisse (Swiss TPH) a démontré dans une étude publiée en 2020 que sur 25 000 décès par arrêt cardiaque sur- venus à proximité de l’aéroport de Zurich, 800 sont directement dus au bruit des avions. Plus étonnant, selon cette recherche, l’exposition à des niveaux élevés de bruit dus aux avions durant la nuit pouvait provoquer des accidents cardiovasculaires fatals dans les deux heures suivantes.

Les perturbations du sommeil dues aux nuisances sonores peuvent également avoir un impact sur notre métabolisme, avec comme possible conséquence une prise de poids. «Les personnes qui dorment moins ont tendance à prendre du poids, souligne Raphaël Heinzer. Le manque de sommeil provoque une baisse de la leptine, hormone dont la sécrétion réduit la sensation de satiété, et une augmentationde la ghréline, qui au contraire stimule l’appétit. Cette réponse endocrinienne explique donc le lien potentiel entre obésité, un facteur de risque cardiovasculaire majeur, et exposition au bruit, qui trouble le sommeil.»

En dégradant la qualité du sommeil, les nuisances sonores nocturnes provoquent également une sensation de somnolence pendant la journée. Une étude publiée en 2018 par des chercheurs de l’EPFL et des hôpitaux universitaires vaudois et genevois a examiné le sentiment de somnolence de près de 3700 Lausannois en les confrontant avec les données du cadastre du bruit. Les résultats ont permis d’identifier des quartiers où les effets de somnolence diurne et de bruits nocturnes sont clairement associés. «Nous avons constaté une différence d’exposition au bruit nocturne de plus de 5 décibels entre les zones les plus exposées au trafic routier et celles qui le sont moins, explique Raphaël Heinzer, qui figure parmi les chercheurs ayant mené l’étude. C’est impressionnant, cela correspond à une perception trois fois plus forte du bruit!»

LA SANTÉ MENTALE ÉGALEMENT TOUCHÉE

En ce qui concerne la santé psychique, l’influence du bruit n’a pas encore été établie de manière évidente : « Plusieurs recherches suggèrent qu’une exposition aux nuisances sonores n’augmente pas de manière générale, ou du moins pas chez tout le monde, le risque de développer un trouble de santé mentale», précise Philippe Conus, chef du Service de psychiatrie générale du CHUV.

Il semble donc que nous ne soyons pas tous égaux face au bruit et à son impact: ce sont en effet le degré de sensibilité inné ou celui très individuel d’inconfort face au bruit, ainsi que la présence de troubles du sommeil qui modulent probablement le risque de problèmes de santé mentale en cas d’exposition. Les personnes qui présentent cette sensibilité particulière aux bruits sont beaucoup plus susceptibles de développer des troubles anxieux ou dépressifs. De plus, «chez les personnes souffrant d’une pathologie psychiatrique telle que la schizophrénie, l’exposition aux nuisances sonores peut aggraver les symptômes, en particulier les troubles cognitifs existants (mémoire et concentration), constate Philippe Conus. Par ailleurs, certains travaux ont démontré que le risque de développer une dépression post-partum est corrélé significativement avec l’intensité de l’exposition nocturne au bruit pendant la grossesse. » /



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