Interview
Texte: Adrien Kuenzy
Photo: GILLES WEBER

« Il est temps de renouer avec la dimension humaine de la médecine »

Chantal Berna Renella étudie la façon dont la douleur peut être atténuée sans prise de médicaments. La spécialiste plaide pour une meilleure intégration des thérapies complémentaires et un renforcement du lien thérapeutique.

Chaque patiente a ses propres ressources qui l’aideront à guérir : il faut l’aider à les mobiliser. Cette vision de la pratique médicale intéresse Chantal Berna Renella, responsable du Centre de médecine intégrative et complémentaire (Cemic) du CHUV. L’approche intégrative vise à considérer la personne sur le plan biologique, psychologique, social et spirituel, en tenant compte à la fois des outils proposés par la médecine conventionnelle mais aussi de ceux de la médecine complémentaire, du moment qu’ils sont soutenus par des preuves.

IN VIVO / La pandémie a accentué la méfiance envers la médecine conventionnelle. Pourquoi?

Chantal Berna Renella / La crise a révélé beaucoup
de choses. En l’absence de connaissances, notre médecine se doit d’être modeste. Malheureusement, certaines représentantes de la médecine d’école ont dévié de ce comportement, présentant des hypothèses comme des vérités. Ces comportements ont profondément questionné le système et son intégrité. Or, que ce soit en médecine conventionnelle ou complémentaire, mener des essais thérapeutiques et obtenir des preuves prend du temps. Durant cette attente, il y a de la place pour les opinions diverses et des essais personnels. De plus, la médecine conventionnelle n’a toujours pas grand-chose à offrir pour soulager les effets du syndrome de covid long, ce qui mène parfois à des frustrations.

IV La médecine complémentaire aurait-elle pu fournir des solutions en attendant le développement d’un vaccin?

CBR / À ce stade, la médecine complémentaire ne possède pas les outils pour traiter une infection au Covid-19 sévère. Lorsqu’une patiente n’arrive plus à utiliser son propre poumon, il ou elle doit être intubée aux soins intensifs.

Dans ce contexte, la médecine complémentaire permet d’apporter davantage de confort, et peut-être de résilience. Mais elle ne peut malheureusement pas résoudre le mécanisme pathologique.

IV / Cette situation a-t-elle renforcé le besoin d’une collaboration entre médecines traditionnelles et complémentaires?

CBR / La demande des patientes est là. Dans le cas du Covid long, par exemple, les médecines complémentaires proposent des approches intéressantes comme l’apport des techniques méditatives en complément de la physiothérapie, pour soulager la difficulté à respirer qui persiste sur la durée.

IV / Les pratiques complémentaires ont trouvé leur place à l’hôpital. Sur quelles bases choisissez-vous les traitements proposés ?

CBR / Nous nous concentrons sur des pratiques étudiées. La méditation en clinique est utilisée par exemple pour aider les patientes à gérer la douleur ou le stress liés à une maladie chronique. Une littérature scientifique sérieuse existe à ce sujet. Pour chaque technique, il s’agit de pouvoir identifier le mécanisme d’action. Pour la méditation, des études en neurosciences ont identifié des réactions visibles au niveau cérébral. Il s’agit donc de se baser sur de la recherche et des preuves, à distance des mythes qui ne demandent que des croyances.

IV / Quels sont les obstacles à l’évaluation scientifique des thérapies complémentaires ?

CBR / Il en existe sur différents plans. D’une part, il y a les coûts et la motivation à financer la recherche. L’évaluation d’un nouveau médicament bénéficie du soutien de l’entreprise pharmaceutique qui en est à l’origine. En thérapies complémentaires, le matériel utilisé est souvent low-tech et peu commercial. D’autre part, la méthodologie demande une réflexion poussée, qu’il s’agisse de trouver un bon contrôle pour des études randomisées, ou de mener des recherches sur des techniques dont le mécanisme est à ce jour encore inconnu, voire pour lequel il n’existe pas de mesures comme les énergies du corps.

IV / Y a-t-il des techniques avec lesquelles vous travaillez sans preuves scientifiques ?

CBR / Partiellement. Ainsi, les recherches sur les mécanismes des bienfaits du massage sont encore balbutiantes.

Nous avons intégré les massages car des effets ont été démontrés, entre autres au niveau du vécu subjectif

Pourtant, nous avons intégré cette technique car des effets ont été démontrés, entre autres au niveau du vécu subjectif. Ce vécu est primordial et non sans impact! Dans le cas des personnes souffrant d’un cancer en soins palliatifs, des études indiquent que la survie est améliorée par une bonne prise en charge des douleurs, donc d’une part de leur vécu subjectif.

IV / Les médecines complémentaires doivent-elles toujours être intégrées dans le système de la médecine classique pour ne présenter aucun risque ?

CBR / C’est un élément important. Il faut élaborer un langage commun pour être sûres que toustes les praticiennes œuvrent dans le même sens et que les éventuels risques soient pris en compte, surtout pour des personnes atteintes dans leur santé. Par exemple, en cas de cancer, une masseureuse doit disposer de certaines informations, comme le taux de plaquettes du patiente, pour éviter des complications telles que des hématomes.

IV / Est-ce que le manque de légitimité des pratiques liées à la « médecine douce » est dû aussi à l’absence d’offres de formations?

CBR / Il y a une grande offre de formations, mais parfois de qualité inégale. Cependant, une professionnalisation et une formalisation des formations se développe rapidement. Des diplômes fédéraux en médecine complémentaire, comme en massage thérapeutique ou en art-thérapie, poussent le champ en avant. Ils représentent des titres reconnus attestant d’un cursus construit de plusieurs années de formation. En revanche, certaines pratiques sont encore peu encadrées. C’est le cas de l’hypnose, par exemple, avec de multiples écoles et un titre d’hypnothérapeute qui n’est pas protégé. Il est possible de suivre des formations très brèves à l’issue desquelles on peut déjà se revendiquer hypnothérapeute. Par conséquent, il peut être difficile pour les patientes de choisir leurs praticiennes.

IV / Peut-on dans certains cas relativiser la preuve scientifique dans les médecines complémentaires?

CBR / Oui, quand il y a une volonté forte de la part d’une personne en traitement, ou des croyances particulièrement ancrées, avec une thérapie qui ne présente pas de risques. On doit toujours garder en tête la balance risques-bénéfices. Les preuves scientifiques de l’homéopathie sont débattues, mais les risques sont minimes si le traitement est délivré par une homéopathe bien formée. Alors pourquoi l’interdire à une personne qui dit en avoir déjà bénéficié ? Il faut savoir se montrer à l’écoute des besoins et des volontés des patientes.

IV / Ce regain d’intérêt pour les « médecines douces » n’est-il pas aussi un signe que les gens ne se sentent pas assez écoutés dans le cadre de la médecine conventionnelle?

CBR / On observe un besoin de retrouver plus d’humanité dans la médecine et de bénéficier d’une prise en charge globale. Or, la médecine a pris un fort virage technologique ces dernières décennies. De plus, une certaine déshumanisation s’est développée, notamment en raison du système des assurances, des codes de remboursement et de la demande de productivité. Cela heurte la plupart des soignantes et des médecins. Notre système est en train de perdre son sens, et le personnel se trouve souvent en rupture de motivation ou d’énergie. D’autres limitations sont aussi des facteurs importants, comme le manque de traitements conventionnels face à des maladies ou des symptômes. La médecine conventionnelle n’a pas réponse à tout. Et quand elle ne propose rien, les gens n’hésitent pas à chercher ailleurs. /



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Biographie

Chantal Berna Renella est médecin adjointe responsable du Centre de médecine intégrative et complémentaire (Cemic) du CHUV depuis 2019 et professeure associée de la Faculté de biologie et médecine (FBM) de l’Université de Lausanne. Elle est spécialisée en médecine interne, médecine psychosomatique, antalgie interventionnelle et en hypnose clinique. En 2010, elle obtient un doctorat en neurosciences de la douleur à l’Université d’Oxford. Elle a rejoint le Centre d’antalgie du CHUV en 2015 et étudie aujourd’hui comment intégrer au mieux les thérapies complémentaires dans un hôpital académique.