Innovation
Texte: Darcy Christen
Photo: Philippe Gétaz

L'hôpital soigne son sens de l'orientation

Les établissements hospitaliers font de plus en plus appel aux professionnels du design pour concevoir leur signalétique. Le graphiste Ruedi Baur détaille l’importance d’un système d’orientation efficace pour le bien-être des patients.

Hiérarchiser les informations, orienter de manière claire et simple les visiteurs et éviter de créer du stress supplémentaire: les défis d’une signalétique réussie sont multiples. Et quand on les transpose dans le monde hospitalier, le défi est encore plus ardu. «La signalétique hospitalière est l’une des plus difficiles à concevoir», avouait Laurence Guichard, directrice du bureau d’étude parisien Locomotion qui a récemment participé à la nouvelle construction d’un hôpital à Marne-la-Vallée, juste à côté de la capitale.

Engoncés entre leur terminologie inaccessible au profane et leurs couloirs parfois interminables, les hôpitaux commencent aujourd’hui à donner les clés de leur signalétique aux professionnels du design, empruntant les recettes utilisées dans les aéroports ou les supermarchés.

Pour en parler, In Vivo a rencontré Ruedi Baur, le «pape» de la signalétique moderne, de retour de Téhéran, et de passage à Genève où il enseigne à la Haute école d’art et de design. Pour lui, l’orientation commence dès l’invitation à venir à une consultation médicale, et le parcours au sein de l’hôpital n’est que le prolongement du parcours dans la cité. Or comme dans une cité, la cohabitation entre une signalisation rigoureuse et le charme spécifique de chaque quartier est ce qui permet à chacun de se repérer.

IV Pour vous, qu’est-ce qu’une signalétique réussie?

RUEDI BAUR Nous vivons dans un monde de complexité croissante. Les infrastructures sont de plus en plus vastes et la dynamique de conglomérat ne cesse de croitre. L’être humain est confronté à d’immenses blocs architecturaux souvent inintelligibles.

Une signalétique réussie, c’est celle qui rend compte de cette complexité. Mon travail est d’abord un travail de militant: rendre plus lisible notre société, car ceci est indispensable pour que l’on se sente à l’aise. Cette intelligibilité à travailler ne relève pas seulement du visuel ou du graphisme, c’est d’abord un enjeu de compréhension de systèmes et d’espaces.

Face à un univers compliqué, le réflexe reste souvent de proposer des panneaux plus gros, avec des polices de caractères plus imposantes. À cela s’ajoute la culture généralisée du «branding»: chaque structure se pare de son logo, il développe sa propre manière de s’exprimer sans tenir compte de l’environnement dans lequel s’inscrivent ces signes, sans travail sur la relation. On voit finalement que cela ne fonctionne pas bien. Je me souviens de ma première visite au CHUV; mon premier constat: «Ce n’est pas qu’il n’y a pas assez de panneaux, le problème est qu’il y en a beaucoup trop.»

IV Pour rendre lisible, faut-il donc savoir épurer?

RB La solution d’uniformiser tout cela n’est pas juste non plus. La désorientation vient lorsque tout se ressemble. L’annuaire téléphonique est certes très pratique, mais ce n’est pas un lieu où l’on a envie de circuler. Il faut chercher une troisième voie: il faut travailler sur les ambiances, il faut contribuer au bien-être du corps en mouvement. L’idée n’est donc pas seulement d’orienter les patients, il faut également faire en sorte qu’ils se sentent bien. Je crois qu’on ne s’oriente pas seulement avec des données, on s’oriente aussi avec des atmosphères, avec de la lumière, avec des matériaux et avec des couleurs. On s’oriente avec des choses qui font du sens pour nous, comme dans une ville. Dans une ville, on repère par exemple la cathédrale et on s’oriente ensuite par rapport à elle. C’est évidemment plus difficile dans un étage borgne d’un hôpital, où rien ne peut se nommer, mais c’est là que se trouve tout l’enjeu. J’aurais envie de dire que le panneau n’est finalement qu’une roue de secours. Idéalement, je devrais pouvoir circuler dans un lieu avec des repères de compréhension et ce n’est qu’accessoirement que je devrais avoir recours aux panneaux. C’est d’autant plus important dans un moment de vie où le facteur stress est prépondérant pour moi ou pour un proche que j’accompagne.

"La désorientation vient lorsque tout se ressemble."

IV La signalétique peut donc contribuer à faire baisser le stress?

RB C’est toute la question de l’intelligibilité spatiale. S’il faut tout lire et que tout semble pareil, c’est un énorme effort pour l’usager de lire chaque information. La désorientation vient d’ailleurs souvent de la crainte de se perdre. Je me suis beaucoup confronté à la culture chinoise, qui a vécu 3’000 ans sans flèches pour s’orienter. En Occident, on ne saurait plus s’orienter sans l’aide de flèches. Dans la Chine traditionnelle où fut inventée la boussole, l’orientation intégrait l’architecture: un rituel de codes permettait de différencier les types de bâtiments, leurs affectations, la hiérarchie des occupants; cela passait par la couleur des pierres, par la forme des toitures, par les entrées qui étaient définies en fonction des points cardinaux, etc.

IV Quels sont vos autres projets?

RB Une de mes passions consiste à réintroduire de «l’inutile/utile» dans l’espace public avec des installations qui relèvent plus du poétique qu’ils ne sont là pour nous guider. Des signes qui ne veulent ni nous vendre quelque chose ni nous dicter un comportement. Actuellement, j’explore un projet à Mons – la capitale culturelle européenne – avec 10 km d’inscriptions poétiques qui passent à la fois sur des espaces publics et à travers des propriétés privées. Il me paraît essentiel aujourd’hui de faire ressortir la richesse des choses, sans forcément rester figés sur leur fonctionnalité. ⁄

Biographie

Ruedi Baur est l’un des grands noms du graphisme et
de la signalétique. Reconnu mondialement, le designer d’origine franco-suisse a travaillé sur des grands projets comme l'aéroport de Vienne ou le futur métro du
Grand-Paris. Pendant près de deux ans, lui et son équipe
ont repensé la manière dont le CHUV pouvait améliorer
sa signalétique par des supports d’information plus
lisibles et par une meilleure hiérarchie de l'information. Pour lui, l’essentiel consiste à donner du sens aux signes, par une réflexion autour des ambiances et des éléments identifiants qui facilitent les repères.



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