Innovation
Texte: Sara Bandelier
Photo: Vegar Moen, CCL

La fin des nids de coucou

Murs arrondis, espaces ouverts, jardins privatifs: les établissements psychiatriques repensent leurs structures et leurs aménagements. Objectif: métamorphoser un lieu sans âme en un environnement apaisant.

Le vent joue avec les feuilles mortes tombées sur le sol d’une longue allée. Dans le parc, un homme en camisole de force est entouré de médecins. Au fond, sombre et menaçant, se tient l’asile où des malades reçoivent des traitements chocs. Ce cliché de l’hôpital psychiatrique appartient bel et bien au passé: médecins et architectes se réunissent aujourd’hui pour imaginer des établissements accueillants et ouverts sur l’extérieur.

Ces transformations visent à améliorer la prise en charge. «Dès le XIXe siècle a émergé l’idée que l’architecture pouvait guérir le patient, l’apaiser, l’accueillir et l’entourer», explique Jean-Michel Kaision, directeur des soins au département de psychiatrie du CHUV. Mais, dans certains pays, le principe a tardé à être mis en application. «Le lieu est encore souvent pensé comme une prison, un espace punitif, détaille le Prof. Jacques Gasser. Nous voulons en faire un espace de soins à la fois esthétique et organique, avec des couleurs et des formes non cubiques.» En tant que chef du département de psychiatrie, Jacques Gasser participe au projet de transformation de l’hôpital de Cery à Prilly, qui sera entièrement reconstruit d’ici à 2019.

Chambres individuelles, structures arrondies, pièces communes, jardins privatifs libres d’accès ou encore atriums font désormais partie intégrante des nouveaux lieux de la psychiatrie.

L’hôpital d’Östra, en Suède, a déjà mis en place un tel programme. Son architecture évoque le design des maisons scandinaves avec leurs peintures représentant la nature, leur mobilier en bois et leurs rideaux colorés. Roger Ulrich, professeur en architecture à l’université Chalmers, à Göteborg, en Suède, a constaté dans le cadre d’une étude les bienfaits d’un tel réaménagement: «L’environnement physique tient un rôle important dans la réduction du stress et de l’agressivité chez le patient. Nos recherches montrent un pic d’utilisation de mesures de contraintes physiques et chimiques dans les hôpitaux psychiatriques classiques suédois alors qu’Östra enregistre une nette baisse de comportements agressifs.»

Roger Ulrich a identifié plusieurs facteurs censés réduire le stress et l’agressivité: l’intimité et la dignité du patient garanties par l’aménagement de chambres et sanitaires individuels, la possibilité de moduler son espace afin d’adapter son besoin d’isolement, des sorties libres dans le jardin qui apportent un sens de contrôle et d’apaisement, le silence, mais aussi des unités de taille plus petite pour diminuer l’effet du stress lié à la foule et au bruit.

"Le patient doit pouvoir, par le jeu architectural qui mobilise son corps et ses sens, renouer avec les stimuli du monde extérieur et se remettre progressivement en contact avec les autres."

A Lausanne, le projet Alcôves, fruit d’une collaboration entre le Département de psychiatrie du CHUV et l’Ecole d'ingénieurs et d'architectes de Fribourg (EIAFR), a pour but de transformer les chambres de soins intensifs. «Il s’agit de l’espace le plus sensible, où les infirmiers travaillent sur un isolement thérapeutique de patients en difficulté», explique Pieter Versteegh, architecte, enseignant et responsable du projet pour l’EIAFR.

«Lorsque le patient est placé dans cette chambre, il le vit toujours dans la douleur de ses symptômes et non pas comme un soin», ajoute Catherine Versteegh-Cellier, l’une des promotrices du projet, qui est par ailleurs responsable du Pôle clinique au Centre neuchâtelois de psychiatrie. Un sentiment d’enfermement, d’exclusion et d’oppression envahit alors le patient. Seul, sans possibilité de voir le reste de l’unité autour de lui et parfois sans pouvoir ouvrir le volet de la fenêtre, s’il y en a une.

Le projet vise à mettre en valeur les aspects calmes et protecteurs de l’isolement, et eux seuls. «Tous les patients n’ont pas les mêmes indications en matière de degré d’isolement, dit Pierre Versteegh. Nous travaillons donc sur la manière dont ils peuvent s’approprier la chambre.»

A terme, le projet Alcôves aboutira à la transformation d’une chambre de soins intensifs de l’hôpital de Prangins (VD). Les effets de cette nouvelle structure sur les patients et les soignants seront ensuite évalués. Pour Catherine Versteegh-Cellier, l’objectif consiste à «réduire, tout en garantissant sa sécurité, les situations qui aggravent l’état du patient lors de la mise en chambre de soins intensifs et pendant son séjour dans cette pièce. Le patient doit pouvoir renouer avec les stimuli du monde extérieur et se remettre progressivement en contact avec les autres.»

A Cery également, les lieux de soins intensifs sont réinventés. L’hôpital accueillera deux à trois chambres autour d’un espace communautaire, tandis qu’un mobilier souple en forme de cube aura pour but d’apaiser les symptômes. Les réflexions du projet Alcôves seront également utiles lors de l’aménagement du futur hôpital. «Il existe des univers auxquels les patients souffrant de démence sont plus sensibles, comme un décor familier, relève Jean-Michel Kaision, du département de psychiatrie du CHUV. Nous allons essayer de recréer des environnements dans lesquels ils sentent bien.»

Les changements entrepris par les hôpitaux psychiatriques vont dans le bon sens, estime l’architecte suédois Roger Ulrich: «Les établissements modernes ont désormais des chambres individuelles, davantage de lumière naturelle et peut-être des améliorations au niveau du design. Mais la plupart d’entre eux conservent de longs corridors et des desks centralisés où les soignants peuvent facilement observer les patients, parfois de manière intrusive. Des progrès pourraient encore être faits.»



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