Décryptage
Texte: Texte : Andrée-Marie Dussault
Photo: Gilles weber

La valeur inestimable des proches qui aident

Famille, ami, voisine… Les personnes qui les entourent jouent souvent un rôle central dans l’accompagnement des malades. Mais elles manquent de reconnaissance, ce qui peut les atteindre à leur tour dans leur santé. Le problème est encore accentué par l’évolution démographique. Et les lois tardent à s’adapter.

En Suisse, 20% de la population des 15 ans et plus s’occupe de l’organisation du quotidien d’une personne proche, participant à sa prise en soin ou gérant son administration et ses finances. Ce travail a une importance cruciale dans la société : il correspond à 80% des aides dont ont besoin les personnes atteintes dans leur santé ou leur autonomie, estime Mercedes Puteo, directrice de l’association lausannoise Espace Proches, qui propose à ces intervenantes des prestations d’information, d’orientation et de soutien au travail via une hotline gratuite.

« Il ne s’agit pas simplement de personnes qui se dévouent gentiment pour les autres, mais bien d’une ressource indispensable ; un pilier de notre système sanitaire. »

Fabien*, 55 ans, en a fait l’expérience. Il est devenu le curateur administratif de sa tante qui souffrait d'un début d'Alzheimer. Personne dans la famille ne voulait s'en occuper et elle était encore suffisamment autonome pour éviter d’aller dans un EMS. Fabien a dû faire un choix. « Au même moment, je me séparais de mon épouse, et de l'espace se libérait dans ma vie. Je me suis tourné vers Pro Senectute, une fondation qui défend les droits et la dignité des personnes âgées, qui m'a donné beaucoup d'informations utiles. J'ai décidé que ce serait moi qui prendrais désormais soin de ma tante. » À l'époque, Fabien ne savait pas pour combien de temps il s'engageait. Sa tante est décédée il y a deux ans, à 97 ans, cinq ans après qu'il a entrepris de s'en occuper. « Je me suis bien organisé de façon à pouvoir déléguer des tâches parce que j'ai rapidement compris que ce travail risquait de m'épuiser. »

Ces aides spontanées de la part de proches font souvent l’objet d’idées préconçues. « Au début de la prise de conscience politique de l'importance de ces proches aidantes, il y a une dizaine d'années, nous nous imaginions que les personnes aidées étaient essentiellement âgées, rappelle Mercedes Puteo. Or, ce sont tous les individus concernés par un problème de santé : conjointe souffrant d'un cancer, enfant ayant un handicap ou encore parent qui a une dépendance. »

Mercedes Puteo souligne que le spectre de l'épuisement ou du surinvestissement est bien réel chez les personnes qui aident.

Vaud à l'avant-garde

Le canton de Vaud, outre tous ses services d'écoute, d'information et d'orientation, a notamment créé une carte qui permet d’identifier la personne aidante. Ainsi, en cas d’accident, l’information est partagée et le personnel soignant sait qu’il faut mettre en place un remplacement temporaire pour soutenir la personne aidée. « Par exemple, dans le cas courant où un homme âgé prend soin de son épouse atteinte d’Alzheimer, explique Valérie Borioli Sandoz, directrice de la CIPA, s’il lui arrive un malheur, la carte permet
de signaler que sa conjointe, à la maison, a besoin d’une prise en charge. » Ce fonctionnement a aussi
été adopté à Genève et Neuchâtel.

Valérie Borioli Sandoz observe que la situation des proches aidantes est très variable d'un canton à l'autre, et même, d'une commune à l'autre. À Fribourg, une allocation quotidienne est dispensée, de l'ordre de 15 à 25 francs. « C'est peu, mais au moins il y a une certaine reconnaissance symbolique. » En Valais, il existe une indemnisation forfaitaire mensuelle. Selon le rapport du Conseil fédéral de 2014, il s’agit d’un montant entre 500 et 1500 francs, déterminé selon un barème progressif qui prend en compte le degré d’impotence de la personne aidée. Dans le canton de Vaud, diverses prestations sont prévues, selon les situations, dont une allocation mensuelle qui peut s’élever jusqu’à 2500 francs pour les cas d’impotence grave.

« De nombreux facteurs peuvent y mener : la volonté de tout contrôler, l'incapacité à lâcher prise, l'absence de confiance dans les structures de la santé, mais aussi, l'ignorance des ressources à disposition », détaille-t-elle, ajoutant que certaines personnes gèrent ce rôle très bien, trouvent les aides adaptées et parviennent à maintenir un équilibre. « Les études montrent que le risque de problèmes de santé et de burn-out est en augmentation chez les proches aidantes. On mesure ainsi une réduction de l’espérance de vie auprès de cette population, ce n’est pas anodin. »

Protéger les proches

Les problèmes commencent lorsque se rompt l’équilibre entre la charge de stress et les ressources pour le supporter, confirme Jean Bigoni, coordinateur cantonal des Consultations psychologiques pour proches aidantes (CPA). « Les gens viennent vers nous lorsqu'ils sont en souffrance. Ils font tout ce qu'ils peuvent, puis s'effondrent. Il n'est pas rare qu'ils nous contactent alors qu'ils sont déjà atteints dans leur santé. » Le psychologue au CHUV précise que les symptômes de cette perte d'équilibre sont tant physiques (ulcères, maux de dos, perte de sommeil ou d'appétit) que psychologiques (dépression, anxiété, irritabilité).

Il indique que souvent, les proches aidantes s'adressent à la CPA lorsque leur propre comportement les alarme. Ils ou elles ont des réactions irritées, voire agressives envers les personnes aidées. « Notre travail est de comprendre ce qu’il se passe, pourquoi ces personnes perdent leur équilibre, afin de comprendre les causes de leur détresse », explique-t-il. Les psychologues les aident alors à identifier les enjeux dans lesquels elles sont empêtrées, par exemple, ne pas réussir à dire « non » ou être en perpétuelle quête de reconnaissance, pour pouvoir faire des choix plus libres.

Une coopération précieuse

Outre le risque de perdre l'équilibre, Mercedes Puteo considère aussi le manque de reconnaissance des proches aidantes comme une problématique majeure. Il ne s'agit pas seulement de les remercier, mais bien de les reconnaître comme des personnes clés dans le cadre du soin. « À l'hôpital, on ne les considère souvent pas encore à leur juste valeur. Or collaborer avec les proches aidantes est fondamental et dans l'intérêt de tous. Un homme savait exactement comment mobiliser son épouse pour que tout se passe bien lors d'une consultation, se souvient notamment la spécialiste. Mais les médecins ne l'ont pas écouté et à plusieurs reprises, la patiente est tombée, alors que cela aurait pu être évité. Les professionnelles de la santé sont experts dans leur domaine et les proches aidantes le sont en ce qui concerne la personne aidée. Coopérer est essentiel. »

Un cadre légal peu solide

À Berne, la faîtière suisse Communauté d'intérêts Proches aidantes (CIPA) revendique un statut juridique pour ces personnes. « Il est important d'avoir une disposition juridique légale qui fixe leurs droits et devoirs, dont la majorité mène une activité professionnelle en parallèle. Sur cette base, les cantons pourront ensuite élaborer leur propre législation », avance Valérie Borioli Sandoz, directrice de la CIPA, précisant que pour les EMS ou les hôpitaux, avec un statut juridique, les proches aidantes deviendraient des partenaires incontournables et leur vie quotidienne serait facilitée. Elle fait remarquer que ce statut existe d’ailleurs déjà dans d’autres pays, tels que l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, ou la France.

Quant à la loi fédérale sur l'amélioration de la conciliation entre activité professionnelle et prise en charge de proches, entrée en vigueur le 1er janvier 2021, Valérie Borioli Sandoz estime qu'il s'agit d'un premier pas, mais cette loi ne va pas assez loin. « Elle ne concerne que les proches aidantes qui travaillent et considère uniquement les situations d'urgence, ignorant celles qui durent dans le temps. De plus, elle ne prend pas suffisamment en compte l’aide prolongée. » La spécialiste appelle à agir urgemment.

« Nous faisons face à une bombe à retardement. » En effet, le vieillissement de la population appelle à trouver des solutions pour prendre soin des aînées et les personnes aidantes en font partie. /



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trois outils légaux en faveur des proches aidant·e·s

Congé payé

La nouvelle loi fédérale permet un congé payé pour prendre en charge un membre de la famille atteint dans sa santé. Ce congé est limité à trois jours par cas et plafonné à dix jours par an au total, sauf pour ses propres enfants.

Congé parental

La loi introduit le droit d'un parent – au bénéfice d'une allocation de prise en charge si son enfant est gravement atteint dans sa santé, d'obtenir de l'employeur un congé de prise en charge de 14 semaines au plus.

Allocation

Des modifications ont été apportées à la loi fédérale sur les allocations pour perte de gain (LAPG), prévoyant une allocation pour les parents qui prennent en charge un enfant gravement malade ou accidentée.