Décryptage
Texte: Monica D'Andrea
Photo: DR

Retrouver l'esprit

Alors que la spiritualité prend une place de plus en plus importante dans la prise en charge des personnes hospitalisées, divers modèles de «spiritual care» sont à l’œuvre dans les institutions de soins.

Pourquoi est-ce que cela m’arrive à moi? Serai-je comme avant à ma sortie? Mes proches vont-ils continuer à m’apprécier si je suis diminué à mon retour à la maison? Quelle qu’en soit la raison, une hospitalisation implique une multitude de questions et une réorganisation pratique de son quotidien. Pour quelques jours ou plusieurs semaines, il faut tout repenser, s’adapter à l’environnement hospitalier, renoncer à ses rituels. Certes, pendant cette période, la priorité accordée au corps peut détourner l’attention dont l’esprit a besoin. Mais plusieurs études américaines montrent que plus de 50% des patients souhaitent que leur médecin se soucie également de leur système de croyances.

«Nous travaillons depuis cinq ans afin que les équipes médicales et soignantes puissent accompagner les questions existentielles ou religieuses des patients par ce qu’on nomme spiritual care, faute de bonne traduction française», explique le Dr Étienne Rochat, théologien et responsable de la Plateforme Médecine, Spiritualité, Soins et Société (MS3), un projet conjoint de la Fondation Leenaards et du CHUV, désormais rattachée à l’Institut des humanités en médecine. Pour favoriser une prise en charge effective de cette dimension spirituelle, «il est nécessaire de développer un paradigme scientifique inédit au sein de la médecine moderne», explique le spécialiste.

Concrètement, la Plateforme MS3 mène des recherches, dispense des enseignements et propose des modèles cliniques qui intègrent la spiritualité dans les soins. Plusieurs types de spiritual care sont ainsi testés et mis en pratique au CHUV: quatre par les accompagnants spirituels du service de l’aumônerie de l’institution, deux par l’ensemble des professionnels de la santé, y compris les accompagnants spirituels, et un par un petit groupe de médecins cadres. «Mon expérience clinique en gériatrie, au CUTR (Centre universitaire de traitement et réadaptation) de Sylvana à Épalinges, par exemple, m’a montré l’intérêt de tester un spiritual care fondé sur une théorie du spirituel émanant de l’hôpital conçu comme une organisation de salut», souligne ainsi Étienne Rochat.

AUMÔNIER OU ACCOMPAGNANT SPIRITUEL?

Traditionnellement, les aumôniers apportaient les «secours de la religion» aux malades. Avec le temps, partout en Occident, ils se sont spécialisés dans l’écoute et la présence à l’autre souffrant au nom de la compassion que commandent toutes les religions. Le terme «accompagnant spirituel» est propre au CHUV. Il est utilisé pour signifier que, bien qu’employés par les Églises protestantes et catholiques, les personnels du service d’aumônerie accompagnent toutes les expériences spirituelles rencontrées chez les patients et les soignants, et pas seulement les expériences religieuses.

Ailleurs en Suisse romande et en Europe francophone, le titre d’aumônier persiste. Au Québec, le titre d’intervenant en soins spirituels est utilisé pour signifier un travail aconfessionnel, sans plus aucun rapport formalisé avec les institutions religieuses.

Plusieurs modèles en Europe

La plateforme est une composante importante du Réseau Santé, soins et spiritualités (Resspir), qui regroupe des chercheurs de plusieurs disciplines dans l’ensemble des pays francophones. Son but est de «promouvoir au sein de nos sociétés et cultures la compréhension, la reconnaissance et l’intégration de la spiritualité dans les milieux de la santé», explique Pierre-Yves Brandt, membre de Resspir et professeur de psychologie de la religion à l’Institut de sciences sociales des religions de la Faculté de théologie et de sciences des religions à l’UNIL. Si cette intégration se fait aujourd’hui dans un contexte de tension entre la biomédecine et les traditions religieuses et spirituelles, les travaux du réseau visent aussi à faire en sorte que «les personnes malades puissent être davantage le sujet de leur propre histoire et renouvelées dans leur lien à elle-même, aux autres et aux institutions», souligne le Prof. Brandt.

«Avant de regarder les manières d’intégrer la spiritualité dans les hôpitaux ailleurs en Europe, rendons-nous compte qu’il y a une foule de différences en Suisse. Ce que l’on fait au CHUV est impossible à Genève, le type de laïcité étant différent. En fait, tout dépend du système politique et des moyens que l’État se donne pour fournir des prestations religieuses dans le cadre de l’accompagnement spirituel, poursuit ce spécialiste de l’Europe du Nord. En Finlande, en Norvège ou au Danemark, ainsi qu’en Suède, des pays très sécularisés, le spiritual care relève directement de l’État par l’intermédiaire de programmes qui sont gérés par les institutions hospitalières bien plus que par les Églises.»

Du côté de la France, pour Nicolas Pujol, psychologue clinicien, chercheur au Pôle de recherche de la Maison médicale Jeanne Garnier à Paris, «ce métier tel qu’il est pratiqué au CHUV ou au Québec n’existe pas». C’est en effet le modèle des aumôniers qui prévaut. «La règle en France est qu’il y ait une ou deux personnes salariées – des prêtres, des pasteurs, des imams, des rabbins –, mais que la majeure partie des prestations soient assurées par des bénévoles, précise Nicolas Pujol. Bien entendu, des spécialistes, médecins ou psychologues par exemple, ont rédigé des mémoires sur la question de la spiritualité dans les soins, mais entre l’intérêt pour la thématique et une mise en pratique dans une routine clinique, il y a une énorme différence.»

Ôter les barrières

«Le problème est que l’on reste souvent bloqué sur le fait que le spiritual care est réservé aux soins palliatifs», explique Naomi Edelmann, psychologue collaboratrice de recherche au sein de la Plateforme MS3.

«Le but est que cette thématique pénètre l’ensemble des services et mette en avant l’importance d’améliorer la qualité de vie des patients et pas seulement le rétablissement de leur corps.»

Depuis vingt ans, les réticences à une telle démarche se définissent en termes de temps restreint, surtout pour les médecins, dont certains hésitent aussi à endosser une responsabilité supplémentaire en proposant de se préoccuper de la spiritualité de leurs patients. Le manque de formation a également longtemps été un frein. L’évaluation de la première mouture du CAS (Certificate of Advanced Studies) «Santé, médecine et spiritualité», hébergé à la Fondation pour la formation continue UNIL-EPFL, permettra de dire s’il est possible de former les professionnels de santé dans ce domaine. «Surtout, ce que l’opinion générale relève, c’est la peur que le spiritual care s’apparente à un viol de l’intimité du patient», conclut Naomi Edelmann. Cette troisième barrière est, dans notre culture européenne, la plus difficile à lever. Un important travail théorique et de recherche reste donc à faire afin que les institutions, les réseaux de soins et leurs acteurs puissent déterminer le type de spiritual care le plus adapté à leur milieu.



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Les 5 modèles du «spiritual care»:

1.

Écouter le patient, lui accorder du temps et faire preuve de compassion. Ainsi, il se «dit» dans une approche centrée sur la personne.

2.

Offrir un acte religieux comme le baptême ou l’onction des malades –notamment à la fin de la vie – au moment où les patients ou leurs proches le demandent. Cette pratique est réservée aux accompagnants spirituels qui dépendent de la religion.

3.

Récolter des informations sur les croyances du patient par le biais d’un questionnaire. Ce modèle est plus courant aux soins palliatifs, où le rôle du médecin est central pour s’assurer que l’ensemble des besoins de la personne sont bien pris en compte par la structure hospitalière.

4.

Évaluer de manière structurée la dimension spirituelle du patient afin de déceler une éventuelle détresse spirituelle et d’en tirer les conséquences pour le projet de soins.

5.

Par un dialogue avec tout intervenant, valoriser les ressources spirituelles et/ou religieuses du patient, voire proposer des activités spirituelles pour faire face à la crise.

Environ la moitié des patients souhaitent que leur médecin se soucie de leur système de croyances. Le Dr Étienne Rochat, directeur de la Plateforme MS3 au CHUV, tente de répondre à ce besoin.