Décryptage
Texte: Clément Bürge
Photo: SCIENCE PHOTO LIBRARY, SAM, ANGELA WYLIE / fairfax

L’homme est un mauvais malade

Les patients masculins ont tendance à ignorer leur maladie et à éviter les visites chez le médecin. Des chiffres confirment aujourd’hui ce que l’on croyait être un cliché.

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Travis Garone, Cofondateur du mouvement movember (Photo)

Les 33 patients, un mélange de fumeurs et d’anciens fumeurs, étaient tous atteints de diabète de type 2. «Ils étaient conscients du danger du tabac et de son interaction avec leur maladie», explique Carol Claire, cheffe de clinique à la Policlinique médicale universitaire de Lausanne, qui a mené une étude sur leur comportement.

Le constat de la chercheuse? La plupart des hommes étudiés ne respectaient pas les consignes de sécurité du personnel médical. «Leur comportement était dangereux, explique l’experte. Ils continuaient à fumer en se disant ‘bah, il faut bien mourir de quelque chose’ ou continuaient à manger trop de sucre et à boire de l’alcool.» Les femmes, au contraire, se comportaient comme des patientes exemplaires: fini la cigarette et la nourriture malsaine. Ce comportement semble typique des patients masculins.

«Les hommes font moins attention à leur santé que les femmes», explique Anita Riecher-Rössler, une psychiatre qui dirige le Centre médical sur le genre de l’Université de Bâle.

Tout d’abord, l’homme déteste admettre qu’il est malade. «Les patients masculins ont tendance à ignorer leurs symptômes et à éviter d’aller chez le médecin aussi longtemps que possible, ils ne consulteront qu’en cas de crise grave», explique Anita Riecher-Rössler.

Une fois chez le médecin, les hommes se comportent aussi différemment. «Ils sont moins ouverts et ont plus de peine à mettre des mots sur leurs symptômes, note Anita Riecher-Rössler. Les hommes s’expriment aussi moins bien que les femmes, qui sont plus à l’aise et peuvent parler plus librement de leurs symptômes.» Parfois aussi, l’homme cesse de suivre le traitement prescrit dès qu’il commence à se sentir mieux, alors qu’il est crucial de le prendre en entier.

Selon une étude de l’Office fédéral de la statistique (OFS) réalisée en 2012, la moitié des hommes entre 25 et 45 ans ne consultent pas de médecin en une année, contre seulement 35% pour les femmes – en excluant les consultations chez le gynécologue et d’autres spécialistes de ce genre.

Ce phénomène est encore accentué dans le cas des maladies mentales. «Deux fois plus de femmes se font diagnostiquer avec une dépression, explique Catherine Fussinger, une historienne spécialiste de la question du genre en médecine. Les hommes n’en sont pas moins atteints, mais ils osent moins en parler, car ils pensent que cela les ferait passer pour quelqu’un de faible.»

Des différences qui s’expliquent par la construction sociale du genre.

«Ils agissent de la sorte simplement car cela correspond à l’idéal masculin qui leur a été inculqué, explique Catherine Fussinger.

Ils jouent aux ‘mecs’. Les questions biologiques n’y sont pour rien.» Un garçon doit donc se montrer viril, fort et puissant. Cette attitude est aussi plus marquée à certains moments de leur existence: les adolescents, en pleine construction de leur identité, exagèrent davantage ce comportement; les seniors se montrent plus ouverts, se souciant généralement moins des questions d’apparence.

Faut-il atténuer ces différences?

«Il faut apprendre aux jeunes enfants qu’ils ont le droit d’exprimer de la douleur, de la tristesse ou de la peur, dit Carole Clair. Nous devons faire en sorte que les aspects de la virilité mis en valeur par les garçons ne le soient plus.»

Des campagnes de prévention ciblées sur certaines maladies pourraient également avoir un impact auprès des adultes. Le mouvement Movember, par exemple, a été créé dans le but de sensibiliser la population à des pathologies masculines telles que le cancer de la prostate ou des testicules. L’Association américaine de cardiologie a par exemple diffusé une publicité télévisée à caractère humoristique, où les enfants d’une femme au foyer surmenée lui expliquent qu’elle fait une attaque cardiaque. «C’était original et ça a touché les gens», dit l’experte.

D’autres vont encore plus loin: dans le monde anglo-saxon, une série de centres spécialisés en soins pour hommes ont vu le jour, comme le Center for Men’s health de NYU Langone à New York et la Leeds Beckett University en Angleterre.

Ces centres se spécialisent en maladies qui touchent les hommes en particulier, comme les problèmes érectiles et le cancer de la prostate. Le tout, en essayant de créer une atmosphère qui mettent les hommes à l’aise: de gros canapés en cuir embellissent les salles d’attente, ce qui leur donne un côté exclusif, les médecins utilisent des gadgets tech qui touchent l’âme geek des hommes et parlent de manière plus détendue quand ils abordent les questions de consommation de drogue et d’alcool. Une approche extrême qui peut marcher pour un certain groupe de la population, mais régler ce problème de société passera avant tout par une meilleure sensibilisation des patients masculins. ⁄

Le cancer oublié

Près de 1% des cas de cancer du sein touche les hommes. Une maladie difficile à accepter pour cette minorité.

En moyenne, on compte un cancer du sein chez l’homme tous les 100 cas découverts chez la femme. Une maladie qui est donc très difficile à accepter pour un homme.

«Comme le cancer du sein est perçu comme une maladie de femme, un homme concerné va avoir honte et peur d’en parler, explique Maurice Matter, oncologue au CHUV. C’est pourtant un cancer comme un autre.»

Par ailleurs, les réseaux de soins sont organisés essentiellement autour de la femme. «Le personnel a moins l’habitude de traiter un homme», raconte le spécialiste.

La prise en charge est plus maladroite et les informations transmises ne sont pas forcément adaptées aux patients masculins. «Les centres de traitement du cancer du sein sont souvent installés dans le centre de gynécologie d’un hôpital, les autres patientes regardent parfois bizarrement l’homme qui vient s’y faire soigner.»

Les hommes atteints de cette maladie ont aussi plus de peine à obtenir du soutien, les associations de patients étant exclusivement composées de femmes. «J’essaie donc de mettre en contact mes patients pour qu’ils puissent se parler», dit Maurice Matter. Aujourd’hui, le CHUV souhaite améliorer cette prise en charge, en créant notamment une filière clinique dédiée aux hommes.



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Diabète de type 2

Le diabète est un trouble de l’assimilation du sucre dans le sang. L’obésité et le manque d’activité physique seraient les causes principales du diabète de type 2 chez des personnes qui y sont génétiquement prédisposées.

Médecine du genre

Une approche de la médecine qui prend en compte les différences biologiques et sociales entre les hommes et les femmes. Née dans les années 1970, la notion s’est institutionnalisée dès les années 1990.

Les spécialistes reconnaissent aujourd’hui que des traitements légèrement différents sont requis pour traiter les maladies cardio-vasculaires, les troubles mentaux ou les cancers chez l’homme et la femme.

Masculinisme

A l’inverse du féminisme, il s’agit d’un mouvement qui promeut les droits des hommes. Le mouvement est né du constat que les hommes souffrent d’un plus grand taux de suicide, ont de moins bons résultats scolaires et sont plus souvent victimes de meurtres.