Décryptage
Texte: Bertrand Tappy
Photo: David Cooper / GettyImages, Bob Galbraith / AP

La science de l’optimisme

Selon de récentes recherches utilisant l’imagerie par résonance magnétique, notre cerveau est naturellement conçu pour voir le verre à moitié plein.

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La chercheuse Tali Sharot a eu recours à l’imagerie par résonnance magnétique pour éclaircir le mystère du «biais optimiste» de notre cerveau.
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Le TED de Tali Sharot

Crise économique, tensions politiques, mauvaises performances de notre équipe nationale de football... L’actualité mondiale nous inonde régulièrement de nouvelles peu réjouissantes. Pourtant, à en croire Tali Sharot, directrice de l’Affective Brain Lab à l’University College à Londres, notre cerveau est programmé pour voir la vie en rose, quoi qu’il arrive.

La chercheuse britannique se penche en effet depuis plusieurs années sur la manie qu’a notre encéphale de bien mieux se souvenir des bonnes nouvelles plutôt que des mauvaises. Ce «biais d’optimisme», nous serions environ 8 sur 10 à en souffrir. Il y a donc de grandes chances pour que vous soyez un optimiste pathologique qui s’ignore. Vous n’y croyez pas? Pour le prouver, Tali Sharot a souvent recours à un exercice tout simple: tentez de vous projeter une année en avant, puis cinq ans, puis dix. Imaginez-vous un moment dans cet avenir hypothétique. Vous y êtes?

A moins que vous ne trichiez (parce que vous êtes des lecteurs très malins et que vous avez compris où nous voulons en venir), vous devriez être en train de penser à un moment agréable: des vacances, une journée avec vos enfants qui ont grandi, un diplôme, une promotion... Comme 8 personnes sur 10, vous venez de surévaluer les événements heureux sur les mauvais (maladie, guerre, divorce, etc.).

Los Angeles Lakers
Au moment de remporter le titre de champion NBA en 1987, le coach des Lakers Pat Riley annonça que son équipe allait sûrement remporter le championnat l’année suivante. Ce pronostic fut perçu par beaucoup comme une provocation, car aucune équipe n’avait réussi à enchaîner deux titres d’affilée jusqu’alors. Pourtant, il s’est avéré ensuite exact. Bien sûr, le simple fait de le souhaiter n’a pas suffi. Mais le fait de croire à un avenir radieux fait augmenter les probabilités que cette issue se réalise, comme l’avait écrit le sociologue Robert Merton, le père de la «prophétie autoréalisatrice», car il conditionne les personnes concernées à suivre cette distorsion de la réalité. La réalité subjective a donc plus de chances de devenir une réalité objective. En se disant qu’ils allaient à nouveau être champions, les joueurs de Pat Riley se sont probablement entraînés avec plus d’ardeur que s’ils avaient jugé l’objectif impossible.

«L’optimisme a une grande influence sur nos vies, notamment en ce qui concerne notre capacité à faire des choix, explique Tali Sharot. Que ce soit pour choisir une profession, se marier ou décider ce que l’on va manger à midi. Quand un couple se marie par exemple, les deux jeunes époux n’imaginent pas qu’ils puissent divorcer un jour. Pourtant, les statistiques prouvent que 40% d’entre eux finiront par le faire.» En clair: bien sûr qu’il arrive des choses dramatiques, mais elles arrivent surtout aux autres. Une attitude qui peut paradoxalement nous coûter la vie, ou la sauver.

La vie en rose se cache dans notre amygdale

Dans le domaine de la santé, on peut ainsi citer deux exemples qui mobilisent notre biais d’optimisme avec des conséquences fort différentes: le premier concerne les messages de prévention agressifs, que l’on trouve par exemple sur les paquets de cigarettes. Si l’on tient compte du «biais d’optimisme», tout cela est vain: le cerveau enregistre l’information et la peur qu’il suscite, certes. Mais le message qu’il retiendra c’est que si la cigarette tue, elle risque surtout de tuer le voisin. Un raisonnement illogique qui peut mener à une issue malheureusement dramatique.

Au-delà du simple jugement reste encore la question centrale: d’où provient cette mécanique de distorsion de la réalité? Pour enquêter, Tali Sharot a eu recours à l’imagerie par résonance magnétique. Avec son équipe, elle a demandé à des volontaires placés sous IRM d’imaginer une série d’expériences positives (promotion, rencontre amoureuse, etc.) et d’autres négatives (rupture, perte de son portefeuille).

Les résultats étaient très clairs: quand le cerveau imaginait quelque chose de positif, l’amygdale (située au cœur du cerveau et responsable des émotions) et le cortex cingulaire antérieur rostral (qui module l’activité des zones du cerveau liées à la motivation) étaient activement mis à contribution. Des résultats qui vont dans le sens d’autres travaux plus anciens qui avaient démontré que ces mêmes zones étaient dysfonctionnelles chez les dépressifs.

Une autre étude, menée également avec l’aide de l’imagerie, tentait de confronter les volontaires à des bonnes ou des mauvaises nouvelles: à la question «quel est selon vous le pourcentage de risque que vous encourez de développer un cancer?» les réponses pouvaient varier de manière assez importante. Mais lorsqu’on communiquait aux participants le chiffre statistique – soit 30% de risque moyen de développer une telle maladie – il s’avérait que les personnes ayant surestimé le risque rabaissaient très facilement leur première estimation, alors que ceux qui avaient imaginé un pourcentage beaucoup moins élevé avaient beaucoup plus de peine à monter jusqu’au chiffre objectif.

Le coupable? Le gyrus frontal inférieur droit, responsable de traiter les mauvaises nouvelles, ne faisait pas son travail, spécialement chez les optimistes. «Bien sûr, ce n’est pas quelque chose de révolutionnaire, commente Tali Sharot. Mais maintenant nous sommes sûrs que nous avons isolé précisément la partie du cerveau incriminée. Et le champ d’étude est encore si vaste, il nous reste énormément à découvrir!» Bel optimisme, n’est-ce pas?



Vivement vendredi!

De manière générale, nous préférons le week-end à la semaine de travail. Mais si vous demandez à quelqu’un s’il préfère le vendredi ou le dimanche, vous aurez probablement une surprise: c’est le vendredi qui sera favorisé. Pourquoi? D’après Tali Sharot, l’être humain préfère très largement quelque chose dont il peut se réjouir, plutôt qu’une récompense qu’il pourrait avoir tout de suite, mais qui s’achèvera aussi plus rapidement.

Optimisme et espérance de vie

Dans son ouvrage, Tali Sharot relaie le cas d’une étude de 1996 menée par l’Université de Pittsburgh. Le prof. Richard Schulz et son équipe ont suivi durant 8 mois plus de 200 patients recevant un traitement palliatif par rayons. Les résultats montraient que les patients les plus pessimistes quant à leurs chances de survie avaient davantage de probabilité de mourir dans les sept mois que leurs homologues plus optimistes. Dans ce cas, la tendance à peindre l’avenir en plus rose qu’il ne l’est réellement a des effets bénéfiques.