Chronique
Texte: Elena Martinez - Institut des humanités en médecine (IHM)
Photo: Sharon McCutcheon

Quand le suicide devient objet d’études médical

Dans la chronique «Labo des humanités», In Vivo vous fait désormais découvrir un projet de recherche de l’Institut des humanités en médecine (IHM) du CHUV et de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL.

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Commencer cette nouvelle rubrique par le suicide, une drôle d’idée?! Pas tant que ça, car «la thématique a marqué les débuts de la sociologie et de la psychiatrie», souligne la Dre Eva Yampolsky, historienne à l’Institut des humanités en médecine FBM-CHUV.

En octobre 2019, celle-ci a terminé sa thèse, sous la direction du Prof. Vincent Barras, sur la «Folie du suicide» dans la France du XIXe siècle. Durant cette période, le suicide n’est déjà plus considéré comme un crime contre soi-même. Il devient, avec l’avènement d’aliénistes comme Philippe Pinel ou Jean-Étienne Esquirol, un objet médical à étudier, à soigner et à prévenir. Est-ce une maladie? Une faute morale? Un symptôme? Ou un acte libre? La question du statut du suicide, mais aussi de ses causes, occupera les commencements de la psychiatrie.

La chercheuse montre que, si pour Esquirol, le passage à l’acte relève d’une pathologie mentale, pour d’autres aliénistes, les frontières entre normal et pathologique sont plus floues. Mais tous s’accordent pour affirmer l’importance de ramener ce phénomène aux champs médical et sanitaire. L’expert dorénavant sera le médecin psychiatre ou l’hygiéniste, et non plus le juge ou le prêtre.

Pourtant, comme l’explique Eva Yampolsky, au milieu du XIXe siècle, les aliénistes ramèneront la morale au cœur du champ médical et verront dans le suicide le signe d’un manque de moralité. C’est l’époque du développement de l’hygiène publique, associée à la médecine mentale, qui prend dorénavant en charge tout un spectre de comportements considérés comme immoraux et pathologiques. Leurs efforts thérapeutiques et préventifs visent non seulement les soins des malades mentaux à l’hôpital, mais de la population entière. Différentes institutions et valeurs sociales tombent par conséquent sous leur regard: la famille, le travail, les pratiques religieuses, l’éducation, etc. Autant de facteurs qui, selon eux, peuvent influencer la santé mentale et le risque de suicide chez un individu.

De nos jours, le flou autour du statut du suicide persiste. La vision psychiatrique d’une étiologie psychopathologique domine, mais la problématique actuelle du suicide assisté vient redynamiser le débat. Deux enquêtes, une aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) menée par les Profs Samia Hurst et Bara Ricou, et l’autre au CHUV sous la responsabilité du Prof. Ralf Jox, sont sur le point d’être publiées et devraient nous éclairer sur ces questions.



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Chercheuse à l’Institut des humanités en médecine, Eva Yampolsky s’intéresse aux liens entre médecine et religion au XVIIIe siècle.