Chronique
Texte: Valérie Delattre
Photo: DR

Handicap: l'altruisme de nos ancêtres

À partir de fouilles de sépultures de la Préhistoire, Valérie Delattre analyse comment certaines civilisations ont traité les personnes aux corps différents. Elle s’interroge dans cette chronique sur nos pratiques actuelles.

«Prise en charge…», «PMR» (ndlr. personne à mobilité réduite), ces locutions contemporaines affirment l’intérêt d’une société envers ses membres vulnérables, et que l’on suppose en nette opposition avec des millénaires d’indifférence. Or l’intégration des personnes handicapées a toujours été un enjeu de civilisation que les sociétés du passé ont affronté, répondant à la nécessité de soigner l’autre, de le réparer, de l’accompagner avec ses différences.

La lecture des comportements anciens est déchiffrable au plus loin qu’il est possible de la décrypter avec les outils technologiques de l’archéo-anthropologie en validant, et en le nuançant, le postulat selon lequel le monde des morts est le reflet de celui des vivants. Il permet d’accéder à des attitudes individuelles et communautaires, bienveillantes et solidaires.

Et cela dès Néandertal, qui était capable de faire accompagner et protéger dans la tombe – et dans l’au-delà – un enfant handicapé par un adulte autonome.

Mais la différence qui fait peur a engendré des regroupements par pathologies. On a confiné pour soigner, arguant que l’association des maux serait un facteur de guérison: telle est l’origine des bimaristans, ces hôpitaux psychiatriques où l’Islam médiéval enfermait les aliénés avec des traitements novateurs (balnéothérapie). On a aussi regroupé pour exclure. La forte surreprésentation des handicaps dans les cimetières d’établissements religieux médiévaux en témoigne. Les jeunes femmes «non conformes» étaient envoyées au couvent et disparaissaient ainsi du groupe social, car elles étaient non «épousables en l’état».

Enfermer, c’est dissimuler. Au XVIIe siècle, «le grand renfermement» concentra les «déclassés», indigents, criminels ou fous. Michel Foucault évoque la «déraison» qui isole et punit «ceux qui s’écartent de la norme sociale».
Le regroupement sélectif ira en s’amplifiant avec le siècle des Lumières et ses enseignements spécifiques: l’abbé de l’Épée et sa langue des signes offrent un monde feutré aux sourds-muets. L’aliéniste Philippe Pinel invente la psychiatrie moderne et regroupe aussi les «fous». Est-ce un bien ou un mal? Un bien pour un mal? Parfois, nommer c’est exclure.

Une société ne se forge pas sans failles. Elle doit être plurielle et le handicap en est l’une des scansions qu’il faut regarder et identifier, sans misérabilisme ni condescendance.

Il est vain de proposer une vision édulcorée du «temps d’avant». Le handicap demeure un excellent curseur jaugeant de l’état d’une société, si ancienne soit-elle. De fait, le regard sur le passé doit enrichir et non accabler le présent.



Partagez:

 
 
 

Valérie Delattre est archéo-anthropologue à l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). Spécialiste des pratiques funéraires et cultuelles de la proto-histoire au Moyen Âge, elle vient de publier Handicap: quand l’archéologie nous éclaire, aux éd. Le Pommier-Universciences.