Témoignage
Texte: Peggy Frey

«Sauver deux vies ne me rendait pas mon enfant»

Accepter le don d’organes pour autrui: ce choix difficile repose souvent sur les proches déjà affectés par le deuil. Témoignage.

Accident, traumatisme, maladie: certains patients admis en soins intensifs dans un état critique ne peuvent être sauvés. Au moment du décès, la question d’accepter pour autrui le don de ses organes peut se poser. Une décision difficile à prendre pour une famille déjà éprouvée par la perte d’un proche. Qui plus est lorsqu’il s’agit d’un enfant.

Ce choix terrible a été celui d’Isabelle (prénom d'emprunt) et de son mari. Après un accident, ils ont décidé de céder les organes de leur fils pour sauver la vie d’autres enfants. «C’est étrange, avant cette épreuve nous avions déjà discuté du don avec mon conjoint, se souvient la jeune femme. Moi, j’étais vraiment pour et lui contre.» Au moment de prendre la décision pour leur fils de 6 ans, leurs points de vue se sont inversés. «Après l’annonce du décès, j’étais dans un déni complet et je ne voulais pas accepter la mort de mon enfant. Dans cet état d’esprit, donner ses organes me paraissait impossible. Cela n’avait rien à voir avec ses reins, ses poumons ou son cœur: je ne pouvais juste pas tolérer qu’il soit parti, que l’on touche à ce corps toujours en vie pour moi.»

Décider dans la douleur

Pour se faire aider dans leur choix, le couple demande conseil à une amie neurochirurgienne. «Elle et le personnel soignant des soins intensifs du CHUV, où était hospitalisé notre fils, nous ont expliqué le déroulement de chaque étape, du prélèvement à la transplantation des organes vers les receveurs en attente de greffes. J’ai mesuré l’importance de notre choix et j’ai aussi peu à peu compris l’irréversibilité de la mort cérébrale.» Après ces discussions, les parents ont disposé de trois jours pour se décider. De ce moment douloureux, Isabelle n’a plus de souvenirs.

«J’ai complètement perdu la mémoire. Je me rappelle juste avoir accepté le don. Seuls ses reins, la cornée de ses yeux et son foie ont été prélevés. Pour les autres organes, il n’y avait heureusement pas d’enfant de son âge en attente.»

Le jour de Noël, un appel du CHUV confirme la réussite des transplantations: deux enfants ont été sauvés grâce aux organes du fils d’Isabelle. «Ma réaction a été surprenante. Pendant quelques secondes, je me suis sentie soulagée par cette nouvelle, avant de retomber dans la réalité, celle de la perte de notre enfant. Si j’étais contente que deux vies aient été épargnées grâce à la sienne, lui ne reviendrait pas. Je me suis dit que ça ne changerait rien à ma vie, ni à celle de notre famille, et nous ne voulions plus avoir de nouvelles.» Même avec le temps, Isabelle et son mari perçoivent mal l’humanité et la beauté de leur geste. Lentement, le deuil opère, et ils parviennent maintenant à témoigner de leur choix. Un premier pas…



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