Le petit livre que Giulia Enders a consacré aux «charmes de l’intestin» est devenu un immense succès de librairie. Rencontre.
Le sujet de Canal+ dans "La nouvelle édition"
in vivo Les liens entre l’intestin, le système immunitaire et le psychisme sont connus de longue date. Comment ces connaissances sont-elles employées en médecine?
ge Nos connaissances évoluent, mais il n’existe pour l’heure que peu d’instructions spécifiques à ce sujet. Et les médecins ont évidemment besoin de preuves précises pour pouvoir conseiller leurs patients en toute sérénité. Cela dit, il est déjà possible de donner quelques conseils aux patients, pour qu’ils améliorent leur santé intestinale par de petits changements dans leur régime alimentaire.
iv Par exemple?
ge Le fait de s’abstenir de manger certains aliments pendant une période donnée, par exemple les produits laitiers, peut parfois conduire à un soulagement significatif des troubles intestinaux. Et cela ne peut pas vous nuire. Pour des affections comme la gastro-entérite, il peut aussi être utile de prendre des probiotiques (bactéries, ndlr). Idéalement, ceux emballés dans des microcapsules, qui protègent les bactéries contre l’estomac et la bile avant leur arrivée dans l’intestin.
iv Certains médecins recommandent-ils l’usage de probiotiques à leurs patients?
ge Beaucoup de médecins restent sceptiques, avec raison, car certains probiotiques n’agissent que faiblement. Mais d’autres peuvent avoir un effet très positif. Plusieurs études ont par exemple démontré l’intérêt d’utiliser les bactéries Lactobacillus plantarum et Bifidobacterium en cas d’irritation du côlon. La bactérie E. coli Nissl 1917 (qui est disponible dans le commerce sous le nom de Mutaflor) a elle aussi d’excellentes propriétés. Des études ont démontré que son efficacité pour retarder une crise en cas d’inflammation chronique de l’intestin était équivalente à celle de médicaments standards.
iv Que pensez-vous des probiotiques naturels?
ge Certaines études montrent que le yaourt peut avoir des effets positifs pour la digestion ou le système immunitaire. Avec un bémol néanmoins: les bactéries contenues dans le yaourt peuvent avoir un effet trop marqué pour les personnes dont le système immunitaire est gravement déficient.
iv Quelles autres connaissances inédites avez-vous pu acquérir au sujet de l’intestin?
ge Lors d’un stage en gastro-entérologie, j’ai eu l’occasion de recevoir des patients souffrant de prolifération bactérienne intestinale. Il s’agit là d’un phénomène qui provoque des ballonnements, qui peuvent être très douloureux.
iv Est-ce que l’échantillon de selles reste
la seule alternative pour le diagnostic?
ge Une prolifération bactérienne dans l’intestin est déjà détectable dans l’haleine du patient! En effet, les métabolites bactériens flottent à travers tout le corps, vu que l’intestin n’est pas un organe étanche. Absorbés par les poumons, ils sont ensuite expirés par le souffle. Nous pensons souvent de manière trop statique, alors que dans un organisme vivant, tout est en mouvement. Nos méthodes d’explications exclusivement rationnelles ne donnent qu’un aperçu simplifié du corps, ce qui n’est pas suffisant pour comprendre la complexité d’un être vivant. En outre, la vision purement rationnelle du corps, que bien des médecins considèrent comme la plus professionnelle, n’est pas idéale pour les patients. Il vaudrait mieux garder une part émotionnelle, pour offrir au patient une forme d’attention plus positive. Donner une meilleure image du corps est essentiel pour le bien-être personnel, et permettrait à bien des gens de mieux faire face à leur maladie et aux déficiences de leur corps.
iv Certains de ces troubles intestinaux sont-ils liés à l’évolution de nos habitudes alimentaires?
ge Nous avons éliminé un certain nombre d’aliments qui étaient très bons pour notre santé, comme, par exemple, la choucroute! C’est un aliment qui contient beaucoup de vitamines et de bonnes bactéries. Dans le passé, la choucroute était consommée très régulièrement durant l’hiver, et constituait une forme de cure pour la flore intestinale. En outre, nous consommons toujours plus d’aliments transformés, ce qui conduit à un déficit de fibres. Ces aliments transformés permettent de vite éprouver plaisir et satiété, car ils sont rapidement absorbés par le corps. Mais le gros intestin en sort souvent perdant, il se forme une véritable lutte au sein de l’organisme pour s’accaparer les aliments. Autrefois, on se nourrissait principalement d’aliments peu transformés, ce qui donnait un sentiment de satiété qui durait plus longtemps, et l’ensemble de l’intestin se voyait sollicité.
iv Votre ouvrage «Darm mit Charme» (Le charme discret de l’intestin) s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires en Allemagne. Comment avez-vous vécu ce succès littéraire?
ge Je me suis évidemment réjouie de l’attention suscitée par mon livre, mais il y avait aussi des aspects moins amusants; par exemple quand des journalistes ont appelé ma grand-mère pour lui soutirer des informations personnelles à mon propos... J’aimerais bien continuer à écrire, pour expliquer aux gens à quel point le corps humain est quelque chose de beau, qu’il faut en prendre soin et lui accorder une attention positive, mais je ne veux pas en faire mon métier. Je n’aimerais en aucun cas devenir un personnage public.
Née en 1990 à Mannheim, Giulia Enders termine actuellement ses études de médecine à l’Université de Francfort. Primée en 2012 pour un «science-slam» consacré à l’intestin, la jeune allemande a publié l’an passé «Darm mit Charme» (Le charme discret de l’intestin), un livre devenu un incroyable best-seller en Allemagne. La traduction française de l’ouvrage est parue en mars 2015 aux éditions Actes Sud.