Editorial
Texte: Arnaud Demaison

Docteur, ôtez-moi d’un doute…

Le parcours commence souvent sur Instagram, pour regarder les photos de vacances des collègues. Puis Facebook, pour lire les nouvelles. Un chat danse sur TikTok, et à deux clics de distance, un inconnu repartage une vidéo datant de mars, dans laquelle un président parle d’un bain de bouche à la javel contre le Covid-19. Une vidéo de recette de cuisine « spéciale confinement » plus tard, il est temps de descendre du train pour attraper son métro. Les vingt minutes du trajet pendulaire quotidien sont passées trop vite, LinkedIn attendra d’être au bureau. Mais au fait, n’est-il pas dangereux de se mettre de la javel dans la bouche?

Dans l’Antiquité déjà, Aristote postulait que « la nature a horreur du vide ». L’aphorisme semble particulièrement adapté aux écosystèmes numériques dans lesquels nous évoluons chaque jour. Hors de notre contrôle, les fils d’actualité se remplissent sans interruption. Les plateformes de diffusion se sont démocratisées, et chacune et chacun a l’incroyable opportunité de partager sa créativité et ses expériences avec le monde connecté. À l’ère de l’information, avoir accès à la connaissance semble une évidence. Les questions de la sélection et de la mise en perspective, par contre, restent à élucider. Et les GAFAM *, dépassées par leurs créations, s’en lavent les mains : c’est aux internautes de faire le tri.

Cette cacophonie digitale est un terreau idéal pour cultiver la méfiance, parfois jusqu’à provoquer le rejet. Selon le Baromètre scientifique suisse, près de 10% des sondées mettent en doute la présence de preuves attestant de l’existence du nouveau coronavirus. Un phénomène qui a des répercussions importantes et concrètes, sur les taux de vaccination par exemple. Pourtant, adopter une perspective critique est une étape essentielle de la démarche scientifique. Certains en font même leur occupation, à l’instar de Jacques Testart, « critique de science » comme d’autres seraient critiques littéraires. Douter est sain, mais il y a l’art et la manière.

Pour nous aider à y voir clair, l’hôpital a une importante carte à jouer. Trop timides encore, les institutions de santé regorgent pourtant de compétences et de savoirs à mettre à disposition d’un public qui ne demande qu’à y avoir accès. La pandémie l’a encore récemment prouvé : une place est à prendre dans cette mêlée numérique. Sans réaction de notre part, d’autres coalitions aux priorités différentes s’y jetteront sans égard pour la recherche de vérité scientifique. S’imposer comme un émetteur d’informations fiables et vérifiées dans les fils d’actualité devrait être une évolution naturelle de la mission de santé des établissements de soins. Alors peut-être que l’eau de Javel était une provocation facile à démentir. Mais concernant certains articles aux sources discutables diffusés sur les réseaux sociaux, que ce soit sur le vaccin à ARNm, la Chloroquine ou l’Ivermectine, vous n’aviez aucun doute? /

*Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft



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