Editorial
Texte: Gary Drechou
Photo: Heidi Diaz - Service d'appui multimédia (SAM)

Mot à maux

« J’ai 24 ans (…) et je suis atteint d’une tumeur au cerveau depuis l’âge de 3 ans. Je souhaite partager mon histoire avec vos lecteurs (…). »

En savoir plus:

(1) «Humaniser les médecins par la littérature?», Sylvie Logean, Le Temps , 28 novembre 2017

(2) «Santé, maladie et poésie – Pour une médecine narrative six fois millénaire», d’Armelle Jacquet-Andrieu et Nejma Batikhy, tiré de l’ouvrage collectif «Santé et bien-être à l’épreuve de la littérature» sous la direction de Maria de Jesus Cabral et José Domingues de Almeida, Lambert-Lucas, 2017

En relevant cet e-mail adressé en début d’année à la rédaction d’In Vivo, je me suis interrogé: qu’est-ce qui peut bien pousser un jeune homme, au beau milieu de ses traitements pour une récidive, à vouloir (se) raconter? Si cette personne a finalement pu partager son histoire sous la forme d’une interview filmée, la même question peut se poser à la lecture des nombreux récits de patients – témoignages poignants, messages de gratitude, lettres de souffrance ou déclarations de colère – publiés quotidiennement sur les réseaux sociaux.

Le besoin de mettre les maux en mots serait-il sous-estimé? C’est en tout cas ce que soutient le mouvement de la médecine narrative, en plein essor depuis la fin des années 1990. «Le patient se raconte à travers une histoire qui porte sa propre chronologie, sa propre causalité, explique ainsi Alexandre Wanger, professeur associé à l’Institut éthique, histoire et humanités de la Faculté de médecine de l’Université de Genève (UNIGE), dans un article du journal Le Temps (1). Un médecin doit pouvoir interpréter ce récit, en comprendre le sens et les acteurs, pour le traduire en un cas médical. Le soin devient alors la construction d’un récit commun où les mots sont un support partagé (…).»

Dans cet esprit, lorsqu’il a été proposé aux patients de l’hôpital neuro-cardiologique de Lyon de «prendre le temps d’écrire», 89 «poèmes d’hôpital» ont été recueillis (2), tous éclairants à leur façon. Un atelier de poésie à l’échelle du CHUV? Pourquoi pas! À Montréal, l’équipe de recherche In Fieri pour l’innovation responsable en santé a même lancé l’an dernier un magazine, baptisé Palindrome, qui s’autorise à faire cohabiter la littérature et la santé. Des sujets variés allant du diagnostic préimplantatoire à l’aide médicale à mourir y sont abordés sous la forme de créations littéraires.

Ne soyez donc pas surpris de découvrir, dans ce numéro d’In Vivo, une nouvelle rubrique « En lectures », sélection d’ouvrages et de témoignages préparée en collaboration avec le magazine Aimer Lire, édité par Payot Libraire. Ces «libres échos» viendront répondre au dossier de chaque édition: ici, le récit de notre immersion d’un an dans les coulisses d’un essai clinique mené au CHUV. Le plus marquant, d’ailleurs, dans ce reportage au long cours ? Ces instants où patients, médecins et soignants semblent écrire ensemble leur propre histoire. Où, dans les mots du poète franco-uruguayen Jules Supervielle, ils ne «(…) forment plus qu’un monstre souffleur à une seule oreille qui va et vient (…) / Et soudain se crispe sur le cœur».



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