Editorial
Texte: Béatrice Schaad, responsable éditoriale
Photo: Patrick Dutoit

Décroissance. Décroiscience?

Soigner est l’art du don. Est-ce à dire qu’il se dispense par nature forcément sans compter?

En savoir plus:

*Kale MS, Bishop TF, Federman AD, Keyhani S.

Trends in the overuse of ambulatory health
care services in the United States.
JAMA Intern Med 2013;173: 142-8 (Medline)

**Mourir, Gian Domenico Borasio,
Le Savoir Suisse Collection, 2014.

***Selling Sickness, How the World’s Biggest Pharmaceutical Companies Are Turning Us All Into Patients, Ray Moynihan, Alan Cassel, Paperback, 2006.

Evoquer l’inverse, la limite, le geste thérapeutique auquel on renonce est difficile, tabou même. Une étude du JAMA* révélait d’ailleurs récemment que les médecins sont nettement moins tentés d’appliquer de nouvelles recommandations basées sur des preuves lorsque celles-ci les invitent à s’abstenir. Pourtant, l’idée d’une médecine qui s’interroge sur la spirale inflationniste vers laquelle elle pourrait évoluer commence à s’imposer.

Les raisons sont diverses: économiques bien sûr, puisque les Suisses sont ceux qui dépensent le plus de leur propre poche parmi les habitants de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Mais aussi médicales, lorsque trop de médecine conduit à des effets indésirables**.

«Faire moins» est d’autant plus difficile que les pressions pour «faire plus» sont multiples. La pharma emploie des armes de séduction massive pour élargir sans cesse les frontières de la maladie. La distinction entre le normal et l’anormal devient toujours plus floue dans des domaines comme l’hypertension, l’ostéoporose, le cholestérol ou les troubles cognitifs***. Les pressions découlent aussi d’un autre glissement: de la médecine curative, on est passé à la médecine prédictive qui menace de faire de chaque individu bien portant un patient potentiel. La gestion des risques est en passe de devenir une spécialité à part entière.

Dans le domaine économique, «la décroissance n’a rien à voir avec l’inverse arithmétique de la croissance» ainsi que l’avait évoqué le député vert français Yves Cochet à la naissance de ce mouvement. De même, en médecine, la décroissance n’a rien à voir avec la «décroiscience». Il n’est pas question de prôner une médecine rétrograde, mais une pratique clinique qui se pense différemment et qui communique de façon transparente sur ses impuissances.

Parmi les différentes voies qui s’ouvrent (notre dossier p. 19), l’une d’entre elles paraît particulièrement prometteuse: la définition d’un projet thérapeutique entre professionnels et patients, le plus tôt possible dans la prise en charge. Le but? Opter pour un traitement efficace, réaliste et permettre au malade d’orienter les soins selon son idéal de vie et sa définition de la santé. Eviter les malentendus qui mènent parfois les médecins à se sentir obligés de poursuivre un traitement de façon agressive alors que les patients ont d’autres attentes. Ou, à l’inverse, discuter des demandes de malades qui peuvent paraître futiles aux professionnels. Faire moins, pour certains patients, c’est donc peut-être faire mieux. ⁄



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