Dossier
Texte: Carole Berset

« Accepter la réalité de la situation demande beaucoup de courage et de maturité »

L’éco-anxiété qui a traversé Noémie Cheval, 41 ans, lui a permis de passer à l’action. Aujourd’hui, la jeune femme donne des formations dans le domaine de la transition écologique et solidaire au sein de la structure qu’elle a créée à Bienne.

Ce qui me fait le plus peur, ce sont nos comportements, nos modes de vie, nos choix politiques et économiques, qui sont la cause du réchauffement climatique.

L’éco-anxiété trouve son origine dans une prise de conscience souvent douloureuse concernant la crise que nous sommes en train de vivre. La légitimité donnée aux responsables de la destruction à grande échelle de nos conditions d’existence a provoqué chez moi un choc qui a amorcé mon éco-anxiété.

Sensible aux injustices sociales depuis mon adolescence, j’ai entamé une réflexion profonde quant à la nécessité de développer des systèmes humains plus résilients durant mes études – notamment lors de mon Master en anthropologie et d’un diplôme spécialisé en territoire et population dans des contextes de conflit –, mais aussi à travers des expériences et des rencontres. La découverte, en 2011, du ‹ Travail qui Relie ›, des ateliers d’écopsychologie pratique, de l’autrice américaine Joanna Macy a néanmoins constitué un véritable déclic. Cet ouvrage m’a permis de réaliser l’ampleur des impacts qu’engendrent nos systèmes de croissance infinie
sur notre environnement.

Mais j’ai mis du temps à m’autoriser à ressentir ce que ces constats suscitaient en moi. La résonance des émotions d’autres personnes au sein du ‹ mouvement de la
Transition › (Transition Network) a été libératrice. La disparition des biotopes me rend triste et la quasi-inertie des pouvoirs publics me met en colère. J’éprouve de l’anxiété par rapport à certaines situations concrètes telles que l’asthme climatique que j’ai développé il y a quelques années, lié au changement de la qualité de l’air. Ne pas acheter de ventilateur par conviction écologique, au risque de mettre ma famille en danger, n’est pas toujours facile à assumer. Grâce aux ateliers, je me suis aussi avoué que j’avais honte de faire partie de la seule espèce responsable de tels bouleversements. La peur des effets du changement climatique répond à une menace établie scientifiquement. La reconnaître et accepter la réalité de la situation demande néanmoins beaucoup de courage
et de maturité.

J’ai traversé des moments de grande solitude. C’est aussi peut-être pour cette raison que certains se protègent en choisissant la stratégie du déni. En ce qui me concerne, j’ai par exemple dû faire le deuil d’une vision de la réussite représentée par une villa quatre façades, injustifiable d’un point de vue écologique. Se déplacer à vélo avec mes jeunes enfants me demande aussi du courage face aux SUV, les espaces publics n’étant pas toujours adaptés à la mobilité douce non polluante. Mais cela me procure beaucoup de joie, car je me sens reliée à mon environnement et aux solutions pour le protéger, qui sont à la portée de tous.

Face à l’urgence de la situation, mon désir d’agir pour protéger le vivant, c’est-à-dire mes amis, ma famille, mais aussi les forêts et toutes les espèces présentes sur terre s’était souvent heurté à un négationnisme scientifique – autant politique que privé –, pouvant provoquer un sentiment d’impuissance et de désespoir. Les rencontres au sein du ‹ mouvement de la Transition › ont été en ce sens fondamentales, car elles m’ont permis de me rendre compte que je ne suis pas seule, et qu’il existe aussi tout un historique de résistances, d’outils et d’associations proposant des solutions pour effectuer ce changement sociétal.

En essayant de résoudre cette éco-anxiété qui paralyse, je peux mettre mon énergie et mon imagination au service d’un changement positif. Que ce soit en tant qu’experte de la transition au sein du Réseau Transition Suisse romande ou en tant que maman, j’entre aujourd’hui en action aux côtés de milliers d’autres, non plus par culpabilité ou par contraintes morales à consommer moins, mais à partir d’une intelligence et résilience collectives. C’est très différent. Cette transition intérieure me permet de continuer à m’engager pour la vie à mon échelle avec détermination et plaisir. »



Partagez: