Dossier
Texte: Andrée-Marie Dussault
Photo: David Marchon

Les biais cognitifs, un héritage ancien

Pascal Wagner-Egger étudie les croyances collectives, dont celles liées aux théories du complot. Il explique le penchant humain pour la désinformation.

La pandémie de Covid-19 a-t-elle eu un impact sur notre image collective de la science ? Elle a plutôt exacerbé des attitudes préexistantes, estime Pascal

Wagner-Egger, enseignant-chercheur en psychologie sociale à l’Université de Fribourg. Si la confiance d’une majorité de personnes envers la science est demeurée plutôt stable, la contestation s’est faite de manière croissante lors de la deuxième vague, observe-t-il. « Il y a eu certes beaucoup de bruit, mais produit par une minorité. Celle-ci était déjà méfiante face à la médecine allopathique et elle l’est devenue encore davantage. Ce sont des personnes plutôt adeptes des médecines alternatives. »

Déjà, avant la pandémie, les vaccins cristallisaient deux phénomènes, souligne le chercheur : la peur intuitive de s’injecter une maladie atténuée pour combattre un virus, craignant d’éventuels effets secondaires, et le fait que l’effet positif des vaccins ne se remarque plus quand ils ont déjà complètement éradiqué plusieurs maladies. « Les personnes plus âgées se rappelleront qu’on mourait de la polio en Suisse il y a soixante ans. En Afrique, les anti-vaccins n’existent pas parce qu’ils voient les conséquences des maladies, bien plus graves que celles, éventuelles, des vaccins. »

Le changement induit par l’essor des réseaux sociaux, c’est que la désinformation circule plus amplement et plus vite, soutient Pascal Wagner-Egger. « Internet est une caisse de résonance immense pour tout ce qui est rumeurs et fausses croyances. L’information sensationnaliste voyage très rapidement, elle est beaucoup plus partagée que l’information. En revanche, les correctifs circulent plus lentement et ne touchent pas tout le monde. »

Dans son récent livre Psychologie des croyances aux théories du complot – Le bruit de la conspiration, il fait valoir que 54% des vidéos sur le Covid-19 sur YouTube allaient à l’encontre de la majorité des études scientifiques. « Il s’agit d’un bel exemple de la surexposition de la désinformation sur la Toile, puisque les fake news et autres propos anti-science ont uniquement Internet comme canal de diffusion. »

Et sur le Net, tout le monde peut s’exprimer ; les nombreux non-spécialistes comme les bien plus rares spécialistes. Souvent, les premiers ont plus de temps à disposition pour le faire, avance-t-il. « De sorte qu’on se retrouve avec de grandes quantités d’informations non valides. » L’avènement d’Internet a aussi provoqué l’essor des théories du complot.

Le complotisme – qui consiste en des accusations graves sans preuves suffisantes – est un discours de revanche contre les élites, affirme-t-il. « Plus on descend dans l’échelle sociale, plus on se place aux extrêmes politiquement (et surtout à l’extrême droite), plus on est susceptible d’adhérer à ces théories, car elles permettent d’expliquer pourquoi on est défavorisé et de désigner un bouc émissaire. »

L’être humain croit trop vite, à partir de quelques cas, sur la base d’un mode de pensée intuitif hérité de nos ancêtres dont la survie était le but principal, et il s’accroche à ses croyances tant individuellement que socialement, détaille Pascal Wagner-Egger. « C’est ce qu’on appelle les biais cognitifs. Ceux-ci expliquent pourquoi nous sommes attirés par la désinformation liée aux dangers ou aux mensonges, et le fait de la diffuser à l’échelle mondiale produit évidemment des effets catastrophiques. »



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