Dossier
Texte: Yann Bernardinelli, Stéphanie de Roguin, Carole Extermann, Erik Freudenreic
Photo: Rémi Clément, Heidi Diaz, Gilles Weber

Être femme, chercheuse et médecin

Les femmes restent très minoritaires dans la hiérarchie des hôpitaux et dans la recherche médicale, en raison d’obstacles sociétaux qui doivent être levés. Notre dossier présente le problème, esquisse des solutions et donne la parole à des chercheuses qui ont réussi à briser ce plafond de verre.
Découvrez nos 12 portraits.

EMMANUELLA GUENOVA
« Mon focus de recherche porte sur l’immunologie cutanée, notamment sur la réponse apportée par le système immunitaire de la peau face à des agressions extérieures telles que les cancers. Pouvoir passer la moitié de ses journées dans la recherche, et l’autre en clinique est quelque chose de passionnant. Bien sûr que le fait d’avoir de nombreuses responsabilités diminue la part disponible pour la recherche, mais au final on trouve toujours le temps.
J’ai toujours été intéressée par les sciences naturelles, notamment du fait de leur caractère précis. J’ai aussi été motivée par l’exemple de mon père et de ma mère, respectivement chirurgien et médecin interniste-allergologue. Je n’ai pas l’impression que mon parcours ait été rendu plus difficile du fait d’être une femme ou d’être d’origine étrangère (Bulgare et Allemande). Peut-être même que cela a renforcé ma motivation. Je remarque cependant que les femmes se montrent souvent plus prêtes à faire des compromis et qu’en fin de compte, c’est la personne qui s’affirme le plus qui remporte la mise, plutôt que celle qui dispose des meilleures compétences. »

NELLY PITTELOUD
« Faire de la recherche en parallèle avec une activité clinique permet de rester à la pointe de la médecine tout en faisant bénéficier les patients des traitements les plus avancés.Le fait d’être une femme favorise certainement une sensibilité à certaines pathologies.
Je travaille actuellement sur un projet consacré à l’infertilité au Pakistan, qui vise à atténuer les préjugés culturels et sexistes et à amener les femmes à consulter.
À la fin de mes études de médecine, le doyen m’avait expliqué que la voie de la recherche était incompatible avec une vie de famille. J’ai alors travaillé durant une dizaine d’années en clinique, avant d’avoir l’opportunité de partir aux États-Unis pour me former comme chercheuse. Cela a été une expérience unique, durant laquelle j’ai découvert une culture de travail basée essentiellement sur le mérite. Autre fait marquant : nous étions plus d’un tiers de femmes professeures au Massachusetts General Hospital, contre une poignée à mon arrivée au CHUV. Heureusement, la situation semble évoluer ici. »

ANGELA KOUTSOKERA
« La complexité médicale des patients transplantés et des personnes touchées par la mucoviscidose m’a attirée vers la pneumologie, car ces profils ont besoin d’une écoute particulière et d’une approche multidisciplinaire. L’interaction avec les patient-e-s et les collègues des autres spécialités motivent mon travail clinique au quotidien et inspirent mes projets de recherche. Pour accéder à un poste à responsabilités, les compétences, particulièrement celles de leadership, devraient primer le genre.Les mentalités évoluent et des formes de management modernes et bienveillantes sont désormais adoptées. Elles devraient permettre une égalité d’accès aux opportunités de développement de carrière. La mienne était parsemée de nombreux défis, similaires à ceux rencontrés par mes collègues masculins. »

FERNANDA HERRERA
« La médecine est un domaine exigeant, mais qui correspond à ma vocation et à mon besoin d’aider les autres. J’ai été inspirée par un médecin, ami de ma famille : j’admirais l’empathie dont il faisait preuve envers ses patient-e-s. Je me suis spécialisée en oncologie, inspirée par l’investissement du corps médical pour prendre en charge un de mes proches très âgé avec un cancer avancé.
Mes recherches portent sur l’évaluation de la réponse des patients à l’immunothérapie du cancer. J’étudie comment cette technologie prometteuse peut être combinée avec des traitements plus éprouvés comme la radiothérapie.
Je suis d’une nature persévérante et optimiste et je me suis toujours dit que si d’autres y sont arrivées, je pouvais le faire aussi. Maisles postes à responsabilités demandent un investissement hors norme. Cela peut freiner les femmes qui ne souhaitent pas faire abstraction de leurs projets personnels, d’où l’intérêt de développer des initiatives comme le ”top-sharing”, qui permettent de partager un poste entre plusieurs personnes. »

SOPHIE POUZOLS
« Je suis arrivée au CHUV il y a une dizaine d’années, à l’occasion de l’ouverture de l’Unité de médecine palliative. J’ai eu l’occasion de suivre plusieurs formations continues qui m’ont amenée à l’étude de l’amélioration de la performance des services infirmiers. Cette dernière année, j’ai partagé mon temps entre la recherche et mon travail d’infirmière clinicienne. Je n’ai pas observé d’obstacles particuliers dans l’évolution de ma carrière, mais c’est aussi lié à ma vie personnelle : je n’ai pas d’enfants et bénéficie d’un soutien sans faille de la part de mon mari.
Je m’apprête désormais à commencer un doctorat.
L’objectif ? Mettre au point un outil informatisé d’aide à la décision pour la détection précoce d’états confusionnels chez les patients âgés. Ce projet va faire appel aux techniques de machine learning et d’intelligence artificielle, un domaine il est vrai encore très masculin. Je compte y apporter toute mon expérience pratique de la clinique, de manière à développer un outil qui soit réellement utile au quotidien. »

MATHILDE MORISOD
« Mon intérêt pour la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent est né au cours de ma première année d’études. J’ai été séduite par le potentiel préventif et la possibilité d’une action encore plus grande lorsque le traitement psychiatrique s’effectue de façon précoce sur l’enfant. J’envisage principalement la recherche en lien avec la clinique.
En 2009, j’ai pu bénéficier du prix d’encouragement à la promotion académique des femmes du Département de psychiatrie, à la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne, qui m’a permis de développer mon activité de recherche.
Mon travail se concentre sur la période périnatale et les stress précoces. Un de nos projets actuels, avec mon équipe, est de comprendre l’impact d’un stress provoqué par une hospitalisation en cours de grossesse sur l’état psychique de la mère et de son partenaire et les éventuelles conséquences sur l’enfant. Cela permettra de développer des interventions thérapeutiques précoces. »

AURÉLIE LASSERRE
« Lorsque j’ai choisi mon orientation professionnelle, j’ai suivi mon intérêt pour les sciences naturelles au sens large. Je savais aussi que j’avais envie de travailler avec des gens. J’ai donc opté pour la médecine. J’ai toujours fait des allers-retours entre clinique et recherche. Actuellement, j’effectue un postdoctorat au Centre d’addiction et de santé mentale, à Toronto, au Canada. Mon projet, financé par le FNS, porte sur les déterminants sociaux dans les troubles liés à l’alcool et à la dépression.
En tant que femme, la différence principale, selon mon point de vue, est que l’on doit plus affirmer son désir de faire une carrière académique et de s’impliquer dans la vie institutionnelle. Alors que cela va davantage de soi pour les hommes. À mon retour en Suisse, le challenge sera d’obtenir un financement qui me permette de garder un temps protégé pour la recherche, à côté de ma pratique clinique. »

LUCIA MAZZOLAI
« Ma passion pour l’innovation et l’être humain m’a orientée vers la médecine. Je me suis spécialisée en angiologie, c’est-à-dire tout ce qui concerne les vaisseaux sanguins. J’ai réalisé mes études à Pérouse, en Italie, avant de faire carrière en Suisse. Ce qui m’inspire, c’est l’aller-retour entre la clinique et la recherche. De mon expérience clinique naissent des questions. La recherche me permet de formuler des réponses que je vérifie ensuite auprès de mes patients. L’une ne va donc pas sans l’autre.
Pendant mon cursus,le fait d’être une femme n’a pas entraîné de difficultés.En revanche, avec le recul, je me suis rendu compte que j’avais pu parvenir à mon poste actuel grâce au soutien d’hommes qui ont eu confiance en mon travail. Aujourd’hui, seules 15% des médecins cadres sont des femmes. Il faut urgemment réduire cet écart. »

NOÉMIE BOILLAT BLANCO
« Je me suis orientée vers les maladies infectieuses, car j’aime l’approche communautaire de la médecine où prévention et traitements se mêlent aux problématiques de santé publique. La conciliation entre clinique et recherche est indispensable pour accéder aux postes académiques. Malheureusement, il est souvent laborieux de la conjuguer avec la logistique familiale, ce qui explique en partie l’exclusivité masculine observée à ces postes. Évoluer dans un monde d’hommes, sans personnalité féminine à qui s’identifier et de qui s’inspirer, est parfois difficile.Désormais, les comportements évoluent et les jeunes générations d’hommes médecins tentent, comme nous, de conjuguer travail et vie privée. Cela permet enfin d’échanger sur ces problématiques et d’ouvrir le dialogue, sans paternalisme ni ambiguïté. »

MARIA LATANIOTI
« La recherche que je mène au sujet des addictions chez les plus de 55 ans est venue d’un besoin clinique concret. Ce domaine est peu exploré, même au niveau mondial. Il me fallait donc mener des recherches pour savoir comment prendre en charge les patients. J’ai la chance d’évoluer dans un département où je suis particulièrement soutenue par la hiérarchie : j’ai notamment été accompagnée pour décrocher des bourses et pour pouvoir bénéficier de formations complémentaires.
Fille de médecins, j’ai grandi au cœur de discussions au sujet de la médecine. Mais c’est seulement au cours de mes études que j’ai découvert un intérêt particulier pour la psychiatrie et la gériatrie. Ces domaines correspondent finalement parfaitement à mon esprit analytique. »

CAROLINE ARBER BARTH
« Je consacre 80% de mon temps de travail à la recherche et 20% à la clinique. Actuellement, mon travail est axé sur l’immunothérapie ciblant les cancers du sang. En recherche, nous développons de nouvelles approches pour les thérapies cellulaires à base de lymphocytes T, des globules blancs responsables de l’immunité cellulaire, pour les faire lutter contre la maladie. En clinique, je suis responsable de la consultation ambulatoire pour ce type de thérapies.
La volonté de me consacrer à la recherche est venue au cours de mes études, au contact des questions importantes et pourtant irrésolues. Cette recherche coïncide avec ce qui m’a menée à cette carrière : mon envie de me lancer dans la médecine afin de développer de nouvelles thérapies. »

CÉLINE DESLARZES
« Il y a quelques années seulement, il était peu fréquent de trouver des femmes chirurgiennes. Aujourd’hui, la profession se féminise. Pour ma part, j’ai su très jeune que c’était dans la chirurgie que je voulais me lancer. J’étais attirée par le côté technique de cette spécialité. Mon intérêt pour la chirurgie vasculaire m’a poussée à faire de la recherche en parallèle de mon activité clinique.
L’un des axes de recherche que je mène conjointement avec l’angiologie concerne la prévention cardiovasculaire secondaire chez les patient-e-s souffrant d’artériopathies.
Le but est de développer un algorithme permettant de les identifier à l’aide du dossier médical patient et du machine learning et d’être capable de prédire l’apparition de complications cardiovasculaires.
De tels outils nous permettront d’offrir une prise en charge personnalisée et préventive à toutes les patientes et patients artériopathes.



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