Dossier
Texte: CLÉMENT ETTER
Photo: GILLES WEBER

Comment les virus humains émergent-ils ?

Les explications de Sylvia Rothenberger, cheffe de projet à l’Institut de microbiologie du CHUV.

On utilise le mot « émergence » pour parler de l’apparition ou de la dissémination rapide d’un nouveau virus au sein d’une espèce. Faut-il s’attendre à une multiplication de tels phénomènes dans les années à venir ? Chez l’humain, 60% des maladies infectieuses de ce type sont d’origine animale, et 70% des animaux concernés sont sauvages. La cause de l’émergence est multifactorielle mais résulte principalement de la modification des écosystèmes par l’humain et des changements de son mode de vie.

Parmi ces facteurs, la chercheuse Sylvia Rothenberger, cite « la déforestation, le développement de l’agriculture ou encore les marchés d’animaux vivants, qui augmentent les contacts entre les humains et les animaux ». Les virus sont généralement adaptés à une espèce en particulier, il y a donc une barrière à franchir pour infecter une autre espèce. Mais les rapprochements plus fréquents avec des animaux susceptibles de porter des virus, en particulier les rongeurs et les chauves-souris, facilitent le passage de ces microbes à l’humain.

Les guerres constituent également un contexte favorable à l’apparition de nouveaux virus chez l’humain. Les déplacements des soldats et des personnes, l’effondrement des systèmes de santé et le manque d’hygiène augmentent la transmission des virus. Pendant la guerre de Corée, par exemple (1950–1953), des milliers de soldats avaient été infectés par le virus de la fièvre hémorragique Hantaan, transmis par les excréments de rongeurs présents en grand nombre dans les rizières. Plus récemment, en Syrie, les années de guerre ont empêché une vaccination efficace contre le poliovirus, qui a pu réémerger temporairement.

Pour Sylvia Rothenberger, « nous allons probablement vers une augmentation des émergences, avec la mondialisation et l’augmentation de la population, dit Sylvia Rothenberger. Le réchauffement climatique aura également un impact, car les espèces animales peuvent progresser vers de nouveaux endroits au climat plus doux. » C’est le cas des moustiques vecteurs de la dengue ou du Zika, de l’encéphalite à tiques ou encore des rongeurs porteurs de hantavirus.

Les virus constitués d’ARN mutent plus facilement que les virus à ADN et certaines de ces mutations peuvent favoriser leur adaptation à un nouvel hôte. Il existe en effet différents stades d’adaptation à un nouvel hôte, les extrêmes étant les virus exclusivement associés aux animaux et ceux exclusivement associés aux humains. Entre les deux existent des virus qui peuvent infecter les humains de façon limitée, comme le virus Andes en Amérique du Sud : « Il est transmis par un rongeur et sa mortalité est équivalente au virus Ebola. Mais la différence entre les deux, c’est qu’il n’y a pas de transmission interhumaine efficace pour Andes, car il ne s’est pas encore adapté à l’humain. » Au contraire du SARS-CoV-2 qui, après son émergence, s’est propagé très rapidement d’un hôte humain à l’autre, créant la pandémie actuelle.

Pour lutter contre les virus émergents, Sylvia Rothenberger rappelle qu’il faut les étudier davantage, de même que leurs hôtes. C’est dans cette optique qu’a été mis en place le concept « One health » au début des années 2000. Il s’agit d’une approche globale et interdisciplinaire de la santé qui reconnaît les interconnexions entre humains, animaux et plantes dans leur environnement. Cette approche promeut la collaboration, la communication et la coordination entre de nombreux partenaires, comme des biologistes, médecins, vétérinaires, épidémiologistes, agriculteurs et politiciens. Cette approche pourrait donc jouer un rôle important dans la prévention, la surveillance et le contrôle des épidémies de maladies infectieuses. /



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