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Texte: CLÉMENT ETTER

Les virus, les comprendre pour mieux les apprivoiser

Le Covid-19 aura fait parler des virus comme jamais. Ils ont conquis la planète grâce à leur étonnante faculté d’adaptation. Les humains aussi ont dû s’adapter, en les étudiant pour s’en protéger. Portrait de la grande famille des virus.

Dans le règne du vivant, les virus sont souvent considérés comme une classe à part. Ils ne ressemblent en effet à aucune des formes de vie connues sur la terre, toutes constituées d’une ou plusieurs cellules. Eux ne sont composés que d’un génome, protégé par une capsule de protéines, parfois aussi de lipides. Dépourvus de structure cellulaire, ils ont donc l’obligation d’en trouver pour s’y multiplier. C’est pourquoi une partie des scientifiques ne les considèrent pas comme vivants. D’autres estiment que la complexité des virus, leur capacité d’adaptation et d’évolution les hissent au rang d’êtres vivants. Peut-être le sont-ils de façon transitoire. Selon les théories, les virus auraient pu apparaître avant les autres formes de vie, ou étaient auparavant des organismes vivants, mais qui auraient ensuite perdu la plupart de leurs fonctions cellulaires.

Vivants ou non, les virus sont très diversifiés et se trouvent partout : dans l’eau, l’air, la terre, et infectent toutes les formes de vie, des bactéries aux plantes, des insectes aux humains, et jusqu’à eux-mêmes… Aujourd’hui, plus de 5000 espèces de virus ont été identifiées, mais il en existe probablement des millions. Parmi eux se trouve la fameuse famille des Coronaviridés, qui comprend quatre espèces de coronavirus (CoV) saisonniers, provoquant le rhume, et trois espèces plus virulentes qui causent des «syndromes respiratoires aigus sévères » (SARS). Il s’agit du SARS-CoV-1, à l’origine d’une épidémie qui a démarré en Chine et a duré deux ans, le SARS-CoV-2, responsable de la pandémie Covid-19 (Coronavirus disease 2019), et le MERS-CoV, originaire du Moyen-Orient, où il est toujours présent.
D’autres familles comprennent les virus humains de la grippe (Influenza) ou des virus hémorragiques comme Ebola. Certains virus, les phages, infectent essentiellement les bactéries et sont aussi rassemblés dans différentes familles. Il existe aussi des virus dits « géants », comme les Mimivirus ; découverts dans une amibe, leur hôte, ils ont d’abord été pris pour une bactérie à cause de leur taille gigantesque. Leur génome contient parfois plus de 1000 gènes, bien plus que les autres virus et que certaines bactéries… Des caractéristiques qui repoussent les définitions classiques des virus et questionnent leur place dans l’arbre du vivant.

S’adapter ou périr

Une des clés de l’adaptation des virus se trouve dans leur capacité à muter. Pendant la réplication des virus dans les cellules infectées, de petites modifications du génome viral peuvent apparaître à cause d’erreurs de copie : les mutations. Si la majorité d’entre elles n’ont pas d’effets sur les virus ou s’avèrent délétères, les mutations qui leur apportent un avantage seront retenues par la sélection naturelle. Elles peuvent permettre aux virus d’infecter de manière très ciblée leur hôte ou de passer la barrière des espèces, d’échapper au système immunitaire et de résister aux traitements ou aux vaccins. Dans le cas du SARS-CoV-2, qui avait vraisemblablement pour hôte principal une chauve-souris, les mutations ont favorisé son adaptation aux récepteurs des cellules humaines et probablement sa capacité d’infection et de pathogénicité. Depuis, de nouvelles mutations sont apparues, notamment sur des gènes codants pour la protéine Spike, la « clé » permettant de pénétrer dans les cellules. Ces variants apparus au Royaume-Uni, en Afrique du Sud et au Brésil semblent se propager plus rapidement que le variant initial.

Les virus de la grippe aussi s’adaptent par mutations. En changeant fréquemment leurs antigènes (les molécules qui déclenchent la réponse immunitaire), ils restent infectieux. C’est pourquoi de nouveaux vaccins sont créés chaque année, afin de s’adapter aux variations d’antigènes. Mais parfois, un changement beaucoup plus brutal a lieu chez les virus de la grippe. Lorsque deux virus différents infectent la même cellule, ils peuvent échanger des fragments de leur génome et, créer un nouvel assortiment génétique. Un virus inédit fait dès lors, son apparition, échappant à la reconnaissance du système immunitaire. « Ces réassortiments sont à l’origine des grandes épidémies de grippe », explique Gilbert Greub, directeur de l’Institut de microbiologie de l’Université de Lausanne et médecin-chef des laboratoires de microbiologie diagnostique du CHUV. « La grippe espagnole de 1918 a causé entre 25 millions et 100 millions de morts à travers le monde. En 1956, il y a eu la grippe asiatique, et en 1968 un nouveau réassortiment avec des fragments de virus aviaire a provoqué la grippe de Hong-Kong. » Plus proches de nous, les grippes aviaires se déclarent en 1997 et 2003, et la grippe porcine en 2010, contenant des fragments de virus aviaires, porcins et humains.

Stratégies d’infection

Pour survivre, certains virus utilisent la stratégie hit and run (littéralement : qui frappe fort et part aussitôt). Ils se multiplient très rapidement et détruisent la cellule, provoquant une inflammation importante. Ils doivent ensuite s’échapper et trouver un nouvel hôte avant de se faire attaquer par le système immunitaire ou que l’hôte ne meure. Cela peut se faire par la voie respiratoire, comme pour les coronavirus, la grippe ou la rougeole, par une morsure d’animal pour la rage, ou via les sécrétions pour Ebola. L’infection est donc hautement transmissible et aiguë, c’est-à-dire que les virus provoquent rapidement des symptômes.

Dans la stratégie alternative, le virus frappe moins fort… et reste. Il persiste dans les cellules de l’hôte dans un état de latence, sans se multiplier, parfois en s’intégrant à son génome. Dans cette situation, le virus doit trouver un équilibre pour ne pas être trop virulent au risque de tuer l’hôte, et rester discret pour échapper au système immunitaire. Mais au cours de son existence, le virus peut se réactiver. C’est le cas de l’herpès, qui se réactive quand notre immunité baisse, provoquant les boutons de fièvre. Le virus de la varicelle peut aussi se réactiver des années plus tard et causer un zona. Ce type d’infection est donc chronique (de longue durée) et peu ou pas transmissible en période de latence.

Passer d’une personne à l’autre

Un autre aspect à considérer dans une infection est la contagiosité, c’est-à-dire dans quelle mesure le virus se transmet. Elle dépend notamment de la charge virale globale (le nombre de virus dans l’hôte), de la viabilité du virus hors de l’hôte, de sa capacité à y entrer et du mode de transmission. « On évalue la contagiosité en termes de taux de reproduction R0, qui correspond au nombre de personnes que le virus contamine si rien n’est fait pour l’en empêcher, explique Gilbert Greub. Pour le SARS-CoV-2, il est d’environ 3, donc chaque personne peut infecter en moyenne trois autres personnes. » En comparaison, le R0 de la rougeole est de 12 et celui de la grippe saisonnière, 1,5. Heureusement, notre comportement peut faire baisser le taux de reproduction effectif du virus, le Re. Les mesures préventives réalisées dans le cadre du Covid-19, comme la distanciation sociale, l’hygiène des mains ou le port du masque réduisent le risque de transmettre le virus. Quand le Re passe en dessous de 1, cela signifie que le nombre de nouvelles infections diminue. Autre facteur qui peut faire varier la contagiosité mais sur lequel nous n’avons pas de contrôle : les saisons. En été, le Re du SARS-CoV-2 est plus bas car il persiste moins dans l’air chaud et humide. De plus, nous passons plus de temps à l’extérieur. C’est l’inverse en hiver.

Eradiquer les virus ou s’adapter

Nous avons appris à vivre avec de nombreux virus et su nous adapter à eux, comme celui de la grippe, rappelle Gilbert Greub : « Nous la subissons généralement dès l’enfance sans trop de problèmes et des vaccins existent pour protéger les personnes à risque. Nous allons probablement devoir vivre aussi avec le SARS-CoV-2, en essayant de le contenir et de proposer un vaccin aux personnes à risque, qu’il faudra adapter en fonction de l’évolution du virus et des variants qui circulent. » À ce jour, la variole est la seule maladie causée par un virus qui a été éradiquée, en 1980. Des stocks de ce virus sont toutefois encore conservés dans deux laboratoires de confinement renforcé pour être étudiés. La poliomyélite est également sur cette voie, puisque le virus a été déclaré éradiqué d’Afrique par l’OMS en août 2020 et ne subsiste plus qu’au Pakistan et en Afghanistan. Pour tous les autres, nous n’avons eu d’autre choix que de nous adapter en développant des mesures préventives, des vaccins et des traitements pour limiter les transmissions et les effets de la maladie.

PETITE HISTOIRE DES VACCINS EN 5 DATES

La vaccination permet de sauver entre 2 et 3 millions de personnes chaque année, selon l’OMS. Par contre, il n’existe toujours pas de vaccin contre le VIH ou l’hépatite C par exemple, malgré des années de recherche.

Le virus recréé à Berne

Dès février 2020, des scientifiques de l’Université de Berne ont réussi à recréer des clones du coronavirus (SARS-
CoV-2) en laboratoire. Les informations apportées par ces études sont cruciales : les reconstructions du poliovirus, du virus de la grippe espagnole et plus récemment du Zika ont permis de com- prendre leur virulence et donnent des pistes de traitement et de prévention pour les pandémies actuelles et à venir.

Pour y parvenir, les chercheurs des instituts de virologie et de bacté- riologie vétérinaires ont développé une technique utilisant la levure pour réassembler le génome complet du virus à partir de fragments synthé- tiques. Au début de la pandémie, cette méthode a permis à plusieurs groupes de recherche dans le monde d’étudier ce virus avant même d’avoir accès à des échantillons de patients infectés.

La méthode permet aussi d’étudier les nombreuses souches de virus mutées qui circulent dans la population sans devoir attendre les nouveaux échan- tillons : « Nous pouvons recréer in vitro l’ensemble des mutations du variant que l’on veut, dans des conditions maîtrisées, explique Fabien Labroussaa, chercheur en bactériologie vétérinaire à l’Université de Berne. Cela permet de comprendre l’impact d’une mutation sur le fonctionnement du virus et de comparer les souches entre elles. Il est aussi possible d’ajouter des marqueurs fluorescents pour tester plus rapidement des molécules antivirales. »

Quand le virus entier n’est pas dispo- nible, les scientifiques peuvent étudier des fragments de son génome, comme le gène codant pour la protéine de surface Spike. Une approche notam- ment utilisée dans le développement des nouveaux vaccins à ARN. « C’est rapide, mais cela ne permet pas d’étudier de façon complète la biologie du virus, comme sa réplication et sa transmission in vivo. »

Cette méthode présente-t-elle un danger ? Les recherches sur les virus synthétiques sont fortement régulées par la législation et requièrent des autorisations. L’étape finale d’infection des cellules, qui permet au virus de
se répliquer, se fait uniquement dans
le laboratoire de haute sécurité de Mittelhäusern, près de Berne. « Le risque que le virus s’échappe tend vers 0 en raison des installations et des mesures mises en place. » Quant au risque que le système soit utilisé comme arme biologique, Fabien Labroussaa rappelle la notion de « biens à double usage » en science : d’un côté, des découvertes majeures font avancer la science ; de l’autre, elles pourraient aussi être détournées pour en faire mauvais usage. Un exemple bien connu étant l’énergie nucléaire. « En soi, notre technique est très encadrée et elle reste compliquée pour tout un chacun, sans l’équipement et les connaissances spécifiques. »

Pourquoi l’éradication de la variole a-t-elle été possible, contrairement aux autres virus ? Tout d’abord, la variole n’avait qu’un seul réservoir : le virus ne se multipliait que chez les humains. Le SARS-CoV-2, lui, en a plusieurs (chauve-souris et pangolin), ce qui augmente les chances qu’il resurgisse et contamine à nouveau l’être humain. Ensuite, la variole se manifestait par des symptômes typiques et facilement détectables : des pustules sur tout le corps. En revanche, les symptômes du Covid-19 (toux, fièvre) ne sont pas propres à cette maladie, ce qui complique son identification, et environ un tiers des personnes infectées sont asymptomatiques. Dans le cas du VIH, les premiers symptômes ne se déclarent qu’après une longue période de latence, le virus peut donc se transmettre alors qu’il est indétectable. De plus, son infection est chronique, ce qui rend l’éradication plus difficile. Un autre facteur déterminant est la stabilité du génome viral. Les virus composés d’ADN, comme celui de la variole, sont très stables, alors que le VIH, composé d’ARN, mute très souvent, ce qui complique la création d’un vaccin. « Plus globalement, pour éradiquer un virus, il faut un effort collectif, une volonté politique et une stabilité géopolitique, notamment pour conduire les programmes de vaccination au niveau mondial. »

Nouvelles pratiques à long terme

Les impacts actuels du Covid-19 sur la recherche, les pratiques cliniques et la société pourraient s’étendre, estime Oriol Manuel, médecin adjoint au Service des maladies infectieuses et au centre de transplantation du CHUV : « Nous avons compris la nécessité d’avoir un système de santé publique solide et l’importance de la recherche et de la collaboration scientifiques. De ce fait, il y aura une surveillance plus étroite de ce genre de virus afin de le contrôler de façon plus précoce. » La recherche innovante ayant conduit aux vaccins contre le SARS-CoV-2 pourrait aussi servir de plateforme pour développer de nouveaux vaccins contre la grippe et d’autres virus respiratoires.

Les études cliniques multicentriques qui se sont révélées très utiles pour tester des traitements anti-Covid-19 le seront aussi dans d’autres situations. Appliquées selon un protocole identique et en même temps dans différents pays, elles ont l’avantage de réunir un grand nombre de patients.

En milieu hospitalier, l’utilisation des gestes barrières et le port du masque vont probablement perdurer dans le contact avec les patients, afin d’éviter la contagion avec d’autres virus respiratoires ou celui de la grippe. Dans la société, aussi : « Les personnes à risque pourraient continuer de porter un masque et elles ne seront plus stigmatisées pour cela. »

Des virus utiles

Environ 200 espèces de virus sont capables de nous infecter. Une poignée parmi les milliers, si ce n’est les millions qui existent, mais qui accaparent notre attention en raison des maladies qu’ils peuvent provoquer.

Cependant, les virus ne se limitent pas à leur statut de pathogènes et certains sont bénéfiques aux humains. Ils font d’ailleurs partie de notre microbiote intestinal, même si leur rôle est mal connu. La majorité d’entre eux sont des phages, des virus qui infectent les bactéries. Sur le plan thérapeutique, les phages peuvent être utilisés contre les infections bactériennes, c’est intéressant dans le contexte des résistances aux antibiotiques. De plus, ils pourraient être adaptés pour cibler uniquement certaines bactéries pathogènes, alors que les antibiotiques tuent aussi des bactéries utiles.

Certains virus jouent également un rôle important dans l’évolution des espèces, comme les rétrovirus, capables d’intégrer leur génome dans celui de leur hôte. Quand cela se produit dans une cellule reproductrice, ce génome viral peut être transmis à la descendance. Ainsi, 8% de notre patrimoine génétique serait issu de rétrovirus. Certaines séquences, devenues vitales, seraient notamment à l’origine de la formation du placenta chez les mammifères comme nous.

D’autres virus pourraient avoir des effets bénéfiques contre des infections ou maladies. Le Pegivirus, totalement bénin, aurait un effet protecteur chez des personnes co-infectées par le VIH ou Ebola. Des expériences sur les souris ont aussi montré que des virus de l’herpès protégeaient les rongeurs contre les bactéries causant la peste et la listériose. Plus récemment, des scientifiques ont découvert des virus oncolytiques, capables de détruire les cellules cancéreuses et qui pourraient être utilisés comme thérapies anticancéreuses.

Plus largement, à l’échelle de la planète, les virus jouent un rôle important dans les écosystèmes et le maintien de la biodiversité. Par exemple, les phages contrôlent la population microbienne dans les océans, qui représente 90% de la biomasse. En détruisant une partie des bactéries, ils assurent le recyclage des nutriments nécessaires au phytoplancton qui produit la moitié de l’oxygène que nous respirons.

Qu’ils soient menaçants, utiles ou mystérieux, les virus ont su s’imposer dans tous les recoins de la terre et font partie des écosystèmes. Aujourd’hui, seule une fraction de leur diversité nous est connue. À travers la recherche, nous pouvons trouver comment nous protéger des virus mortels, prévenir leur émergence et exploiter ceux qui pourraient nous être bénéfiques. /



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GRIPPE ESPAGNOLE (1918–1919)

20 millions

Estimation basse du nombre de victimes.

/

100 millions

Estimation haute du nombre de victimes, selon des études récentes.

/

5%

Pourcentage de l’humanité ayant perdu la vie, selon l’estimation haute.

Vaccino-sceptiques : peur et individualisme

Près de 24% des Suisses déclaraient ne pas souhaiter se faire vacciner contre le Covid-19 lors du sondage SSR du mois de janvier 2021. Ce scepticisme n’est pas nouveau, comme l’explique Vincent Barras, directeur de l’Institut des humanités en médecine CHUV-UNIL. « Au début du XVIIIe siècle, des querelles existaient concernant les statistiques et l’efficacité de l’inoculation, notamment dans la communauté savante. De plus, il fallait accepter de s’inoculer la variole alors qu’on était en bonne santé… »

La peur de se rendre malade est une des raisons qui peuvent nourrir les vaccino-sceptiques. Une autre est l’origine étrangère du matériel injecté, la vache dans le vaccin de Jenner (lire ci-contre, infographie). L’individualisme des sociétés occidentales serait aussi une explication : « Se faire vacciner est un geste altruiste : ce n’est pas uniquement pour se protéger soi-même, mais pour l’ensemble de la population et les personnes à risque. » Une couverture vaccinale importante est donc nécessaire pour éviter des flambées d’épidémies, comme cela arrive encore avec la rougeole, très contagieuse.