Dossier
Texte: Stéphanie de Roguin
Photo: Eric Déroze - Service d'appui multimédia (SAM)

«Aujourd'hui, on veut de plus en plus maîtriser sa fin de vie»

Ralf Jox et Eve Rubli Truchard ont émis des recommandations sur la prise en charge pour la fin de vie des personnes âgées dans un livre blanc. Ils évoquent quelques pistes d’avenir ici.

Dans quel but la chaire de soins palliatifs gériatriques que vous codirigez a-t-elle été créée en 2016?

RALF JOX En raison du vieillissement de la population, mais aussi parce que les causes de décès évoluent. On dénombre de plus en plus de maladies chroniques, de combinaisons de plusieurs maladies (ce que l’on appelle multimorbidité) et de démence. Les buts de la chaire sont de mener des projets de recherche sur ces questions, de former les médecins, les soignants et d’autres professionnels de la santé, tout en travaillant avec le monde politique et l’opinion publique afin de promouvoir les intérêts des seniors dans leur dernière période de vie.

EVE RUBLI TRUCHARD Les progrès de la médecine permettent aujourd’hui d’aider un patient à vivre non seulement plus longtemps, mais, faut-il l’espérer, avec une meilleure qualité de vie. Pour cela, il faut des connaissances de la personne âgée et des soins en fin de vie. Le but n’est pas de créer une nouvelle spécialité, mais de se demander quel professionnel est à même de traiter telle ou telle question, tout en prenant garde à ce que le réseau primaire, c’est-à-dire le médecin traitant et les centres médico-sociaux, conserve son rôle central.

À quel moment du parcours d’un patient les soins palliatifs sont-ils prescrits?

RALF JOX Jusqu’ici, les soins palliatifs ont surtout été sollicités lors des derniers jours avant le décès, dans ce que l’on appelle la phase terminale. De nombreuses mesures peuvent être mises en place en amont, comme préparer des réactions rapides et adéquates aux symptômes sévères en crise aiguë.

Les soins palliatifs peuvent être introduits dès le diagnostic d’une maladie grave comme un cancer.

Il est possible de traiter la maladie et ses causes, de soulager la souffrance, d’améliorer la qualité de vie, de prévenir des crises psychosociales et de préparer des décisions à prendre dans le futur.

Cette intervention précoce des soins palliatifs donne-t-elle davantage de pouvoir de décision au patient?

EVE RUBLI TRUCHARD Oui, et c’est un point très important. Aujourd’hui, de nombreuses personnes veulent maîtriser leur fin de vie, de la même manière que leur vie en général. Une façon de le réaliser est que le patient puisse discuter et transmettre par oral ou écrit ses souhaits et volontés, y compris ce qu’il ne voudrait absolument pas dans ses soins futurs. Ainsi, l’ensemble des professionnels respectera au mieux ses choix, si un jour le patient perd sa capacité de discernement.

RALF JOX Cette méthode, que l’on dénomme Advance Care Planning (projet de soins anticipé), est bien développée en Australie, en Amérique du Nord, en Allemagne et dans le canton de Zurich. Nous essayons d’adapter et de préparer une telle approche pour la Suisse romande.

Comment agissez-vous sur le plan politique?

RALF JOX Nous avons déjà entamé une collaboration avec le Service de la santé publique, le Réseau Santé Région Lausanne, et d’autres acteurs politiques. Dans le Livre blanc que nous avons récemment rédigé avec des collègues, nous relevons par exemple que le temps de parole accordé au patient lors de sa visite chez son médecin de famille est très peu valorisé avec le système de rémunération Tarmed. Il est en effet très strictement compté. Cette tarification ne favorise pas un accompagnement en fin de vie adéquat.

Prend-on davantage en compte le facteur humain?

EVE RUBLI TRUCHARD La médecine permet des miracles, mais est-ce vraiment toujours ce que le patient âgé souhaite? Nous avons la mission d’éviter l’acharnement thérapeutique.

Nous devons élargir le débat avec des questions plus éthiques: avons-nous répondu aux besoins du patient avec des objectifs de soins qui font vraiment sens? Quelle est son autonomie dans les choix qui lui sont proposés?

Lorsque nous pouvons expliquer en détail à un patient les options qui s’offrent à lui, il n’est pas rare qu’il dise: «J’ai bien vécu ma vie, elle peut s’arrêter.» Certains ne veulent plus d’intervention ni de traitements agressifs. Ils préfèrent choisir la qualité de vie par rapport à sa quantité. Le personnel médical doit pouvoir entendre ce souhait et proposer des options qui vont dans ce sens. Sur ce plan, il reste beaucoup de chemin à faire.

RALF JOX D’autres problèmes se posent, comme celui de la solitude de nonagénaires qui vivent isolés à domicile. Quel soutien apporter à des personnes qui n’ont plus d’activité reconnue et valorisée par la société, mais qui ont parfois encore de longues années à vivre? Ces questions sociétales influencent profondément la médecine.

Quelles sont vos pistes à ce sujet?

EVE RUBLI TRUCHARD Il est essentiel d’écouter et de comprendre où en est le patient dans ses différentes étapes de vie, de parler ensuite des options qui s’offrent à lui, d’inclure les proches si le patient le souhaite ou s’il n’a plus la possibilité de s’exprimer avec sa pleine capacité de discernement. Puis, il s’agit de construire un projet de soins comprenant les dimensions bio-psycho-sociales et spirituelles qui ait du sens pour le patient et ses proches.

RALF JOX Pour vraiment assurer la qualité de vie des seniors jusqu’à la mort, il faut davantage créer des espaces sociaux dans les EMS et dans les communes qui valorisent la dignité de ces personnes vulnérables et facilement discriminées.

Comment aborder la question de la mort avec les patients, alors que notre finitude reste un tabou?

EVE RUBLI TRUCHARD Osons en parler! Il n’est pas rare que des professionnels du corps médical ou infirmier n’aient pas connu de décès dans leur entourage proche. C’est comme si la mort était centralisée en des lieux spécifiques, dans les EMS et dans quelques services hospitaliers.

RALF JOX Afin d’alléger ce tabou, nous pouvons nous inspirer d’initiatives mises en place à l’étranger: en Nouvelle-Zélande, le programme «Conversations that count» propose des discussions de manière décontractée – par exemple autour d’un barbecue – sur la fin de vie et un projet de soins anticipé. Le projet australien «Dying To Know Day» cherche à stimuler la conversation autour des soins palliatifs, de la mort et de la perte. Ailleurs, débats ou documentaires télévisés sont courants. Enfin, les cartes américaines «Go Wish» questionnent les personnes sur la façon dont elles souhaiteraient être prises en charge en fin de vie. Une version adaptée existe en Suisse romande et en France, mais cet outil reste peu connu.



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Palliativiste, neurologue et éthicien, le Prof. Ralf Jox codirige la chaire de soins palliatifs gériatriques à la Faculté de biologie et de médecine (FBM) de l’Université de Lausanne (UNIL).

La Dre Eve Rubli Truchard codirige la chaire de soins palliatifs gériatriques. Elle travaille également dans le Service de gériatrie et de réadaptation gériatrique du Département de médecine du CHUV.