Dossier
Texte: Paule Goumaz
Photo: Service d’anesthésiologie – CHUV

Souriez, vous allez être intubé!

La reconnaissance faciale permet de réduire les risques lors d’une anesthésie générale. Une technologie qui peut s’appliquer à d’autres spécialités médicales.

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Un nouveau logiciel permet de mesurer une centaine de milliers de points du visage en 3D.

L'examen ne dure que quatre minutes. Installé dans une sorte de photomaton, le patient ouvre la bouche, tire la langue, tourne la tête, prononce une série de voyelles. A chaque étape, ses mouvements sont photographiés et filmés par deux webcams et une caméra Kinect, capable de mesurer la profondeur de la bouche. Les images sont ensuite envoyées à un logiciel qui analyse 177 points spécifiques du visage. «Cet appareil dresse un portrait-robot du patient qui nous indique s’il connaîtra une intubation facile, difficile ou intermédiaire, lors d’une anesthésie générale», précise Patrick Schoettker, médecin anesthésiste au CHUV.

L’intubation reste un geste délicat: à l’aide d’un tube inséré dans la trachée, il permet d’assurer la ventilation artificielle du patient lors d’une chirurgie. Obésité, mobilité de la tête ou encore retrait du menton, plusieurs caractéristiques physiques sont reconnues comme autant de facteurs de risque. «Lors de la visite pré-anesthésique, le patient est examiné selon ces critères, explique Patrick Schoettker. Mais ceux-ci ne suffisent pas, et le médecin peut rencontrer un cas imprévu d’intubation difficile. Il ne dispose alors que de 4 minutes pour y remédier, puisque le patient ne respire plus.»

Détecter automatiquement les patients à risque

«L’idée de reprendre les technologies de reconnaissance faciale m’est venue en 2011, en atterrissant pour la troisième fois aux Etats-Unis. Le douanier m’a immédiatement reconnu après avoir scanné mes yeux au moyen d’une caméra. J’ai pensé adapter la même démarche, c’est-à-dire la détection automatique de traits particuliers du visage pour les analyser d’après leur morphologie.»

Cela représente un gain en coûts énorme, car on compte chaque année 80 millions d’anesthésies générales dans le monde.

De retour en Suisse, il teste son hypothèse avec Christophe Perrouchoud, anesthésiste à l’Hôpital de Morges, Jean-Philippe Thiran, responsable du Laboratoire des signaux de l’EPFL et la start-up nViso, spécialisée dans la reconnaissance des émotions. Soutenus à hauteur de 700’000 francs par la Confédération, ils engagent deux ingénieurs pour développer un logiciel. «Grâce à sa puissance de calculs, accouplée à des caméras dont la précision est 1’000 fois supérieure à l’œil humain, nous voulions qu’il prédise les cas d’intubation difficile inattendus», s’enthousiasme l’anesthésiste.»

Dans un article publié en juillet 2015, l’équipe démontre que sur 970 patients, la machine obtient un score prédictif comparable à l’évaluation faite par un médecin très expérimenté. S’agissant d’un protocole de recherche, seuls les patients avec des complications potentielles en bénéficient actuellement. «On améliore non seulement la sécurité de la prise en charge, mais également son efficacité. En quelques minutes, on peut convenir d’une technique d’intubation adaptée à la situation du patient, avec le matériel et le personnel adéquats. Cela représente un gain en coûts énorme, car on compte chaque année 80 millions d’anesthésies générales dans le monde.»

Un brevet a été déposé pour la commercialisation du photomaton. En parallèle, de nouvelles images alimentent ce qui est devenu la plus grande base de données de ce type, avec les entrées de plus de 4’000 patients. L’équipe travaille aussi sur une version légère de la machine, adaptée à la caméra des téléphones mobiles. «Notre projet est de la distribuer dans les autres hôpitaux, suisses et étrangers, explique Patrick Schoettker. Car plus nous aurons d’images, plus nous pourrons affiner les prédictions du logiciel, qui intégrera non seulement les caractéristiques de la population lausannoise, mais aussi mondiale.»

Plusieurs pathologies liées à la morphologie du visage peuvent être détectées par la reconnaissance faciale. Une étude porte actuellement sur 200 patients atteints du syndrome d’apnée du sommeil, dont certains signes prédictifs présentent des similitudes avec ceux de l’intubation difficile. Elle vise à vérifier si le logiciel, moyennant certaines adaptations, pourrait identifier les patients à risque. Mais la recherche va plus loin. Les ingénieurs se penchent aussi sur la détection automatique de structures au fond de la gorge – luette, glotte, cordes vocales –, pour prédire les chances d’une opération en ORL. Les applications du logiciel semblent illimitées. ⁄



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