Se priver de manger durant une quinzaine d'heures s'impose comme une tendance nutritionnelle du moment. Mais les scientifiques se montrent prudents face aux supposés effets bénéfiques de ce type de jeûne par intermittence, qui pourrait être associé à une désynchronisation des différentes horloges du corps.
L'étude SwissChronoFood, menée au CHUV par Tinh-Hai Collet et son équipe, explore le rythme alimentaire chez les adolescents et adultes habitant en Suisse.
Fini les brunchs du matin ou les délices du soir? La tendance est en tous les cas au jeûne intermittent. En vogue aux États-Unis, l’«intermittent fasting» consiste en une réorganisation des repas fondée sur la privation périodique de nourriture. Concrètement, il s’agit de consommer deux plats sur une durée de huit heures, puis de jeûner durant seize heures.
Pour ses adeptes pratiquants, le jeûne intermittent est érigé en mode de vie, allant de pair avec la recherche d’un équilibre nutritionnel et d’une meilleure connaissance du corps. Le «fasting», comme on l’appelle parfois, a envahi les réseaux sociaux. Il suffit d’ailleurs de consulter sur Instagram les dernières photos de Max Lowery pour s’en convaincre. Quelque 47’000 abonnés, un livre en vente consacré au jeûne par intermittence, The 2 Meal Day, et des interventions répétées dans les médias: le jeune Anglais de 27 ans s’est imposé comme une figure du mouvement.
Cet entraîneur sportif a découvert le jeûne intermittent lors d’un voyage en Amérique du Sud en 2014. Et il le pratique désormais au quotidien:
«Le jeûne par intermittence n’a rien à voir avec l’impression de mourir de faim. Il s’agit de donner à votre corps ce dont il a besoin quand il en a besoin. En décalant simplement votre premier repas un peu plus tard dans la journée, vous pouvez optimiser votre métabolisme.»
Terminé les petits-déjeuners à base d’œufs, de tartines et de fruits frais: Max Lowery se contente d’eau jusqu’au dîner. À la pause de midi et le soir, le Londonien consomme des plats sans restriction calorique: «En mangeant deux repas plus copieux avec une collation facultative, vous mangerez la même quantité de nourriture ou même davantage, mais dans un laps de temps plus court. L’idée est de vous apprendre à écouter votre corps et à comprendre vos sentiments de faim et de satiété.»
À en croire Max Lowery, ce rythme nutritionnel produit des effets bénéfiques, sans s’astreindre à un régime. «Le jeûne intermittent n’est pas un régime. Il vous oblige d’abord à brûler la graisse corporelle stockée pour l’énergie, plutôt que d’utiliser les sucres que votre corps extrait de la nourriture. De fait, il augmente également votre sensibilité à l’insuline.» Et ces bienfaits n’engendreraient aucune perte musculaire: «Les méthodes classiques du régime touchent autant la graisse que le muscle. Lorsqu’il est combiné avec un entraînement de résistance, il peut aussi augmenter la masse musculaire.»
Les scientifiques, eux, se montrent prudents, puisqu’il existe peu d’études menées sur les humains sur une longue durée. Pour Luc Tappy, médecin-chercheur en nutrition humaine au Département de physiologie de l’Université de Lausanne, si un jeûne intermittent relativement court, sur dix jours au maximum, ne fait courir aucun risque à une personne en bonne santé, les présumés effets bénéfiques du «fasting» sur une plus longue période restent encore à démontrer:
«La plupart des études ne comparent pas le jeûne par intermittence avec un régime classique. De fait, nous n’avons aucun élément de preuve.»
Une version corroborée par Tinh-Hai Collet, chef de clinique au sein du Service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme du CHUV. «Les courtes études montrent des résultats intéressants, notamment une baisse de la tension artérielle, une amélioration du métabolisme des graisses, une perte de la graisse abdominale et une meilleure sensibilité au sucre», note-t-il. Mais aucun effet bénéfique sur le risque cardiovasculaire ou de diabète n’a été démontré à long terme. La plupart des études qui se sont intéressées jusqu’ici aux rythmes alimentaires ont été menées sur des rongeurs. Certes, les scientifiques ont constaté chez les souris une meilleure sensibilité à l’insuline, une perte de poids, des effets sur les lipides sanguins et même une plus grande longévité, mais ces résultats doivent être évalués avec du recul, selon Tinh-Hai Collet, car il s’agit d’animaux nocturnes. Or, le rythme de l’horloge biologique pourrait avoir une influence sur le métabolisme.
Si ces effets bénéfiques peinent à être démontrés, il en va de même pour les dangers présumés du jeûne intermittent. Le manque de données ne permet pas en effet de mettre en évidence ses aspects néfastes, si ce n’est la question du rythme. «On peut suspecter un risque, précise Luc Tappy, car le jeûne par intermittence ne respecte pas les horloges internes, qui jouent un rôle important dans les régulations métaboliques», comme l’ont démontré les chercheurs américains Jeffrey C. Hall, Michael Rosbash et Michael W. Young, distingués du prix Nobel de médecine en 2017 pour leurs études sur le contrôle des rythmes circadiens.
«Une désynchronisation entre les horloges internes du corps et le rythme externe par l’alimentation peut induire certaines maladies comme des désordres métaboliques», souligne également Tinh-Hai Collet.
Le chercheur mène d’ailleurs une étude sur le sujet, intitulée SwissChronoFood, qui vise à explorer le rythme alimentaire chez les adolescents et les adultes habitant en Suisse. Grâce à une application sur smartphone spécialement développée dans ce cadre, les participants photographient en temps réel tous les aliments et boissons consommés chaque jour. À partir de ces renseignements, Tinh-Hai Collet et son équipe évalueront si la restriction alimentaire chronologique («time restricted feeding» en anglais) a une influence sur le poids et les désordres métaboliques.
Le jeûne intermittent existe sous plusieurs formes, allant de quelques heures à trois jours.
La variante dite «5:2» permet de manger de tout durant cinq jours, avec deux jours limités à 500 calories ingérées.
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Enfin la
Dans la conscience collective, l'expression de jeûne intègre plusieurs composantes, parfois contradictoires.
Le jeûne concerne une privation totale de nourriture accompagnée ou non d'une absence de boisson. D'un point de vue médical, la période de jeûne commence à partir de la sixième heure après le dernier repas.
Le jeûne par intermittence consiste en une série de repas entrecoupée d’une période plus ou moins longue de jeûne. Il existe différentes formules (lire encadré ci-dessous).
Dans le catholicisme, le carême est une période de jeûne et d’abstinence de quarante jours. Mais ce terme fait également parfois référence à un apport calorique limité. Dans certains cas, des personnes font «carême de viande» ou «carême de chocolat», par exemple.
Le régime est une restriction calorique ou de certains aliments. Les diététiciens et les médecins parlent alors de régime restrictif.