Qu’il soit de la grippe ou du vih, le virus d’une même maladie n’est jamais exactement identique partout sur la planète. La chercheuse Séverine Vuilleumier consacre son temps à l’étude des populations virales qui se baladent autour du globe et de ce qu’elles peuvent révéler.
Virus archi-médiatisé, le VIH recèle encore beaucoup de secrets aux yeux des scientifiques et du grand public. Saviez-vous par exemple qu’il en existe plusieurs sous-types qui peuvent se mélanger entre eux et former ainsi de nouvelles versions du virus? Il existe ainsi 72 formes de ces combinaisons (nommées «recombinant») du virus VIH à la source d’épidémies.
Jusqu’en 1996, on ne comptait que deux versions recombinantes du VIH. Et les scientifiques étaient persuadés qu’elles ne se combinaient jamais. «On sait aujourd’hui que c’est faux, affirme Séverine Vuilleumier, chercheuse à l’EPFL, qui collabore avec l’Institut de microbiologie du CHUV. Ces rencontres donnent lieu à des batailles dont la science a énormément à apprendre.»
Si nos connaissances en la matière ont évolué si rapidement, c’est en grande partie grâce à l’essor de la génomique, qui permet de cartographier avec précision le code génétique des différents organismes vivants, y compris les virus. «Nous connaissons aujourd’hui un large catalogue des formes du VIH, continue Séverine Vuilleumier. Ce qui intéresse plus particulièrement mon équipe, c’est l’étude des mouvements migratoires de ces différents types et sous-types, afin de déterminer leur histoire, leurs origines et leur force: si la forme A rencontre une autre forme B, qui gagne? Quel sera le fruit de cette rencontre? Pouvoir répondre à ces questions donnera de précieuses informations, dans la recherche d’un vaccin par exemple.»
Cela fait de nombreuses années que Séverine Vuilleumier se penche sur ce qu’elle appelle les «patterns complexes» de ces flux migratoires. Au début de sa carrière, la biologiste s’intéressait aux extinctions et emergences d’espèces animales; l’étude de leurs flux migratoires pouvait selon elle expliquer la disparition de certaines d’entre elles. C’est dans un second temps que la scientifique s’est penchée sur les virus, «intéressants parce que évoluant beaucoup plus rapidement tout en étant plus faciles à observer». Des recherches qui ont fini par attirer l’attention de la Faculté de biologie et médecine de l’UNILet le Fonds national suisse de la recherche scientifique qui ont financé la suite de ses travaux.
Outre le fait de pouvoir prévoir l’évolution du VIH autour du globe, l’étude des flux migratoires des virus a déjà permis d’identifier le type de virus – et donc l’endroit – qui a vu pour la première fois le VIH passer de l’animal à l’homme. «Les animaux sont très rarement malades après avoir contractés le SIV (la forme animale du VIH, ndlr), ajoute Séverine Vuilleumier. Et c’est la même chose pour d’autres virus comme Ebola, une autre pandémie qui a poussé la communauté scientifique à s’intéresser au sujet. Les mécanismes d’apparition de telle ou telle version du virus doivent encore être découverts. Si en règle générale ces recombinaisons affaiblissent le virus, il peut aussi malheureusement devenir beaucoup, beaucoup plus puissant. Ironiquement, ce n’est pas une bonne nouvelle pour le virus: devenir trop puissant peut signifier la mort de son hôte, et par conséquent sa propre disparition…»
Beaucoup de choses que nous pensions certaines au sujet du VIH ont donc déjà été remises en question par les découvertes de ces nouveaux cartographes de la génomique dont Séverine Vuilleumier et son équipe font partie. L’étape suivante consiste maintenant à tenter d’élaborer des stratégies visant à contrôler, voire ralentir l’évolution du virus et de la pandémie. «Je me suis d’abord intéressée aux animaux pour ensuite me concentrer sur les virus, c’est une excellente manière de repasser du microscopique à l’échelle humaine», conclut avec malice Séverine Vuilleumier,qui semble plus motivée que jamais à continuer son yo-yo entre l’immense et l’immensément petit. ⁄
Le groupe M du VIH-1 est le plus répandu à travers le monde.
Il est responsable de la pandémie de sida avec près de 40 millions de personnes infectées.
De nouvelles formes de VIH issues de la recombinaison entre les sous-types du groupe M émergent par ailleurs aujourd’hui.
Le VIH présente une diversité génétique importante. Deux types ont été découverts jusqu’à présents: VIH-1, le plus présent dans le monde, et VIH-2, moins contagieux. Au sein de chaque type existent plusieurs groupes qui, à leur tour, comportent des sous-types.
Apparu au début du 20e siècle dans la région du bassin du Congo chez les singes, le virus du sida a été transmis à l’homme aux alentours des années 1950. Il a commencé à migrer, sous ses différentes variantes génétiques, dans les autres régions du monde dans les années 1960. C’est aux conséquences de ces mouvements migratoires que Séverine Vuilleumier s’intéresse.