Prospection
Texte: Martine Brocard
Photo: Philippe Gétaz

Hyperactifs et maladroits même combat

Les enfants qui présentent des troubles de l’attention souffrent souvent de problèmes moteurs. Une découverte qui permet de développer des alternatives à la médication.

Rappelez-vous: à l’école il y avait toujours ceux qui trébuchaient dans la cour, renversaient leur tube de colle ou étaient incapables d’attraper un ballon. Les maladroits. Il y avait aussi ceux qui n’écoutaient jamais en classe, oubliaient leur sac de gym et perturbaient le cours en se levant sans autorisation. Les cancres. La médecine a découvert que les seconds ne souffrent pas d’un manque d’intelligence, mais de concentration (trouble du déficit d’attention-hyperactivité, TDAH). On sait désormais que les maladroits chroniques partagent souvent le même problème. Une étude vient de le prouver.

Quand la Ritaline
améliore la motricité

Le Service d’ergothérapie du CHUV reçoit parfois des enfants suspectés de souffrir de troubles moteurs, comme les maladroits mentionnés plus hauts, mais les tests de motricité et de coordination ne révèlent rien d’anormal. Pourtant, ce manque d’habileté a un impact important dans leur vie quotidienne. «Nous nous disions qu’il y avait une autre cause», note Marie-Laure Kaiser, ergothérapeute cheffe au CHUV.

Pour tester son hypothèse, la spécialiste a compilé 45 études portant à la fois sur les troubles de l’attention et les troubles moteurs durant un congé scientifique de mars à octobre 2014 à l’Université de Groeningen aux Pays-Bas. Elle s’est intéressée, d’une part, aux études sur les capacités motrices des enfants diagnostiqués avec un trouble de l’attention qui n’étaient pas traités avec des médicaments, et, d’autre part, à celles qui portaient sur l’influence des psychostimulants (de type Ritaline) sur la motricité des enfants souffrant d’un trouble de l’attention.

Résultat: plus de la moitié (51 à 73%) des enfants avec un TDAH souffrent également d’un trouble moteur. D’autre part, les psychostimulants améliorent la motricité de ces enfants dans 28 à 67% des cas. «Cette compilation amène la preuve qu’il y a une corrélation entre les troubles de l’attention et ceux de la motricité», explique Marie-Laure Kaiser. Un enfant sans problème moteur peut tomber régulièrement parce qu’il est toujours dans la lune, ou rater un ballon parce qu’il n’est pas concentré.

Synergies renforcées

«Cette étude montre qu’en plus des troubles de l’apprentissage comme la dysorthographie ou la dyscalculie, couramment

Ces développements s’inscrivent dans un mouvement de prise en charge plus large de l’hyperactivité et des perturbations de l’attention, qui affectent 5 à 6% des enfants.

associés au TDAH, nous devons prendre en considération les troubles de la motricité et de la coordination», relève Michel Bader, pédopsychiatre et privat-docent à la Faculté de biologie et médecine de Lausanne. Les synergies existant entre la neuropédiatrie, la pédopsychiatrie et la pédiatrie, disciplines s’occupant généralement du TDAH, et l’ergothérapie en sortiront renforcées, notamment avec des consultations communes et la mise en place de stratégies thérapeutiques conjointes. Le patient sera gagnant. «Lorsqu’un enfant souffrant de problèmes de coordination est orienté vers un psychiatre, on peut vite perdre une année jusqu’à ce qu’il soit réorienté vers un ergothérapeute», dit Marie-Laure Kaiser. Et pourtant le temps presse. «Un enfant de 6-7 ans a une grande marge d’amélioration et progresse très vite, par contre lorsque l’enfant vient nous voir à 10 ans, c’est souvent trop tard.»

Ces développements s’inscrivent dans un mouvement de prise en charge plus large de l’hyperactivité et des perturbations de l’attention, qui affectent 5 à 6% des enfants. «Il est important de ne pas se limiter aux médicaments, mais d’augmenter la palette des interventions appropriées, comme les psychothérapies et les groupes de parents et d’enfants», dit Michel Bader. Logopédistes, ergothérapeutes et psychothérapeutes s’occupent maintenant de faire travailler le patient sur les autres troubles associés au TDAH. De nouvelles approches neurocognitives sont également utilisées, comme des entraînements de la mémoire de travail avec des programmes informatiques.

Etude pilote sur un jouet

Michel Bader a récemment mis au point avec Hansel Schloupt, étudiant de 2e année de Master de design de produit à l’Ecole d’art de Lausanne, un jouet spécialement destiné aux enfants atteints d’un TDAH. Il s’agit d’un jeu de construction composé de pièces en bois et en caoutchouc. «L’enfant doit être concentré, se contrôler d’un point de vue moteur, suivre les consignes, prendre des décisions et ne pas s’énerver afin de réaliser la plus grande tour possible», explique le pédopsychiatre. Le jeu se fait à deux, avec un parent dans un contexte ludique et détendu. «L’idée est que ces enfants qui ont souvent d’importantes difficultés scolaires fassent une expérience de réussite,
et éprouvent du plaisir à jouer avec leurs parents, afin de sortir du contexte tendu des devoirs», précise le pédopsychiatre.

Une étude pilote sur cette approche ludique a débuté en février 2015 avec la collaboration de Marie-Laure Kaiser. Dix enfants entre 6 et 9 ans diagnostiqués avec un TDAH, ainsi que 10 autres enfants qui ne souffrent pas d’un tel trouble réaliseront 20 séances de jeu pendant quatre semaines à la maison. Une évaluation aura lieu avant et après le traitement. On devrait savoir d’ici à l’automne si ce type de jouet peut se combiner avec, voire se substituer à des psychostimulants.

LES ADULTES AUSSI

On a longtemps cru que le trouble du déficit d’attention-hyperactivité (TDAH) ne touchait que les enfants et qu’il disparaissait à l’adolescence, mais il n’en est rien. «Aujourd’hui, on sait que le TDAH persiste dans environ 60% des cas», indique Nader Perroud, psychiatre aux Hôpitaux universitaires de Genève et responsable d’une consultation spécialisée dans l’hyperactivité des adultes ouverte en 2011.

Quelque 2 ou 3% des adultes, aussi bien des hommes que des femmes, sont concernés. Les manifestations du trouble s’intériorisent avec l’âge et consistent en une succession sans fin d’idées et de pensées, qui empêchent la personne de se concentrer, en particulier lorsqu’elle doit se consacrer à des tâches fastidieuses ou répétitives. «Les personnes touchées sont aussi très impulsives: elles disent ce qu’elles pensent sans réfléchir, coupent la parole et prennent des décisions sans songer aux conséquences», précise le psychiatre genevois.

Mais l’hyperactivité peut aussi se transformer en atout. «Les hyperactifs parviennent à traiter les informations à toute vitesse et montrent une énergie et une détermination hors du commun quand quelque chose leur plaît.» Ils ne comptent alors plus leurs heures, débordent d’idées et font souvent preuve d’une grande créativité.



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Hansel Schloupt, étudiant en design de produit à l’Ecole d’art de Lausanne (en photo) et le pédopsychiatre Michel Bader ont développé un jeu de construction destiné aux enfants atteints d’hyperactivité.