Innovation
Texte: Bertrand Tappy
Photo: CURML, Unité d'imagerie forensique

La mort immortalisée

Après être resté figé pendant près de deux siècles, le monde de l’autopsie et de la médecine légale connaît un bouleversement sans précédent en s’ouvrant à l’imagerie.

«Je lui ai tiré dans la tête pour abréger ses souffrances.» La phrase est courte, mais pour les médecins du Centre universitaire romand de médecine légale (CURML), c’est surtout une énigme de plus à résoudre: celui qui a tiré dit-il la vérité? Ou a-t-il plutôt agi pour se débarrasser de l’autre? Ces situations, Silke Grabherr, responsable de l’Unité d’imagerie forensique, y a déjà été confrontée des centaines de fois. «Notre mission ne consiste pas seulement à trouver les causes de la mort. Il faut systématiquement confronter les témoignages à la réalité que raconte le corps. Et pour y arriver, nous ne pouvons pas nous permettre de passer à côté de la moindre des lésions.» C’est ainsi que la spécialiste et son équipe ont développé une technique unique: le passage systématique de tous les corps qui arrivent à l’institut médico-légal au scanner, avec – si nécessaire – une angiographie effectuée à l’aide d’une technique révolutionnaire. Explications en sept cas.

La mort immortalisée from IN VIVO on Vimeo.

Alejandro Dominguez, responsable technique à l'Unité d'imagerie forensique du Centre universitaire de médecine légale à Lausanne, nous raconte l'impact de cette nouvelle pratique pour les techniciens en radiologie.

1/ Mort par balle

Les trois images ci-dessus représentent le crâne et le cerveau d’une même personne, décédée suite à un coup de feu. La balle est visible sous la forme d’une tâche brillante sur la coupe frontale de cerveau. Ce cadavre fait partie des 500 à 600 cas traités chaque année par la médecine légale lausannoise.

2/ Examen des vaisseaux sanguins

Lorsqu’une mort est déterminée «suspecte» ou «violente», le corps est amené au Centre de médecine légale pour un scanner et un examen externe. C’est ensuite au procureur chargé de l’affaire de déterminer si les spécialistes doivent poursuivre avec une autopsie, éventuellement associée à une angiographie (image ci-dessus). Cette technique d’imagerie médicale permet la visualisation des vaisseaux sanguins.

3/ Bulles de gaz

Pour le radiologue néophyte, les images d’un corps sans vie sont un spectacle étonnant. «Six à huit heures après la mort, des bulles de gaz peuvent déjà se former dans le corps (zones noires ci-dessus). Si le spécialiste ne sait pas que la personne est morte, il conclura qu’il s’agit d’une embolie ou une autre pathologie, explique Silke Grabherr. Ce qui serait compréhensible, mais erroné. Chez un cadavre, ces bulles peuvent être dues au sang qui sédimente en fonction de la position du corps ou à des distorsions provoqué par la rigidité cadavérique.»

4/Fracture du crâne

La personne ci-dessus, dont le crâne présente une importante fracture, a été victime d’une chute sur son lieu de travail. Le médecin légiste peut ici définir avec précision le point d’impact.

5/ Cœur contrasté

Quand on meurt, le cœur ne bat plus. Derrière cette lapalissade se cache un problème pour l’injection du produit de contraste nécessaire à la réalisation d’une angiographie: plus de rythme cardiaque, plus de circulation naturelle et donc pas de transport du produit de contraste au sein du système vasculaire. «Pour contourner le problème, nous devions trouver un moyen pour faire passer le produit, explique Silke Grabherr. Plusieurs années d’études ont été nécessaires pour trouver le mélange idéal afin de fournir des images qui nous permettent de reproduire les vaisseaux sanguins.»

6/ Trajectoire de balle

Ci-dessus, une deuxième reconstitution 3D du crâne d’une victime d’un coup de feu porté à la tête. Grâce à l’imagerie, la trajectoire de la balle a pu être reproduite sans faire bouger les éclats d’os ni les fragments de projectile à l’intérieur de la tête. Voir à l’intérieur du corps sans devoir l’ouvrir est l’un des grands avantages de l’imagerie forensique, tout comme le gain de temps: s’il faut maximum 2 heures pour une angiographie, une autopsie traditionnelle d’un corps victime de plusieurs coups de couteau peut durer jusqu’à dix heures environ.

7/ Reconstitution du thorax

Cette reconstitution des vaisseaux du thorax et de l’abdomen n’aurait jamais pu être observée lors d’une autopsie classique. Aujourd’hui, des spécialistes de nombreux pays viennent se former aux techniques d’imagerie forensiques développées à Lausanne. «Des raisons culturelles poussent également certains pays à se tourner vers cette méthode non invasive, explique Silke Grabherr. Notamment les pays arabes, où l’ouverture du corps d’une personne décédée pose un problème lié à la religion.»



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Notre mission ne consiste pas seulement à trouver les causes de la mort. Il faut systématiquement confronter les témoignages à la réalité que raconte le corps. Et pour y arriver, nous ne pouvons pas nous permettre de passer à côté de la moindre des lésions.