Innovation
Texte: ANDRÉE-MARIE DUSSAULT
Photo: APHP-ST ANTOINE-GARO /PHANIE, DR TONY BRAIN / SCIENCE PHOTO LIBRARY

Guérir grâce aux selles

La transplantation du microbiote fécal suscite d’énormes espoirs chez les patients souffrant de nombreuses pathologies. La Suisse romande est à la pointe de ce traitement prometteur.

Et si les selles contribuaient à guérir des pathologies aussi diverses que le diabète, la maladie de Crohn ou la dépression ? L’idée peut sembler saugrenue, mais depuis quelques années, une thérapie permet de restaurer l’écologie microbienne de l’intestin de personnes malades. L’objectif de la transplantation du microbiote fécal (TMF) est de réintroduire une flore bactérienne saine. Et les résultats sont spectaculaires.

Dans les cas d’infections récidivantes à l’espèce de bactéries dite Clostridioides difficile – une maladie qui cause des diarrhées importantes avec un risque de rechute élevé –, son taux de succès est de 90%, contre 20 à 30% avec des antibiotiques.
Recommandé uniquement dans ces cas, et ce, depuis 2013, ce traitement pourrait bientôt être utilisé pour soigner de nombreuses autres pathologies comme les troubles neurologiques ou des maladies telles que le diabète. « À titre compassionnel (c’est-à-dire pour des patients atteints de pathologies qui ne peuvent pas être traitées de manière satisfaisante par des thérapies autorisées), quelques patients l’ont reçu avec un certain succès au cours de l’année dernière », dit Benoit Guery, médecin-chef du Service des maladies infectieuses du CHUV. Car depuis 2017, l’hôpital universitaire vaudois est le seul établissement en Suisse accrédité par Swissmedic pour pratiquer la TMF. Avec les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), il a créé l’an dernier une plateforme romande destinée à devenir un centre
de référence.

Pour l’instant, la plateforme reçoit trois ou quatre personnes atteintes de Clostridioides difficile par mois. « La TMF est effectuée en hospitalisation.
Mais dès cette année, nous espérons un passage vers l’ambulatoire. Une démarche est en cours pour qu’une tarification soit fixée et qu’elle soit reconnue par les compagnies d’assurances », indique Benoit Guery.
Parallèlement, des programmes de recherche clinique et fondamentale sur le microbiote et d’autres maladies ont été initiés. La mise en place d’un registre et d’une biobanque (de selles et de sang) est également à l’ordre du jour, « dans le but de remonter au donneur, pour assurer la traçabilité et connaître les effets de la TMF à long terme ».

Cherche donneurs de selles

Cheffe de clinique responsable du développement de la TMF au CHUV et vice-présidente du Groupe français de transplantation fécale, Tatiana Galperine explique comment s’effectue la thérapie : « Nous avons besoin d’un donneur de selles et d’un pharmacien pour transformer celles-ci en médicament. »
Trouver des donneurs peut paraître simple, mais cela exige une logistique complexe et coûteuse, souligne-t-elle.

Le protocole s’inspire de celui utilisé pour identifier des donneurs de sang, avec davantage d’exigences. Les donneurs éventuels répondent en effet à une série de questions portant sur leur mode de vie, leur alimentation, leur consommation d’antibiotiques dans les six derniers mois, leurs voyages dans des zones à risque, l’état de leur transit, etc. « En cas de constipation chronique ou de cancer de l’intestin dans la famille, un candidat sera d’emblée rejeté. »

Les personnes sélectionnées sont vues en consultation et passent des examens cliniques. Un bilan de leur sang et de leurs selles sera mené. « L’objectif est de s’assurer qu’aucun agent pathogène ne puisse être transmis au receveur », précise la médecin. Seuls 10% des candidats sont finalement éligibles. En 2019, au CHUV, ils étaient dix. Dans certains cas, le candidat est un proche du patient, s’il répond aux critères de sélection. Sinon, le recrutement se fait parmi des volontaires, notamment des étudiants.

Le don recueilli – lequel peut être produit à domicile selon une procédure stricte –, filtré et dilué, est congelé à -80 degrés Celsius, pour être transformé en médicament. Puis il est mis en quarantaine deux mois, avant d’obtenir les résultats d’un second screening du donneur. Pour garantir un niveau de sécurité très élevé, un local et un congélateur sont exclusivement dédiés à la TMF.

Des effets sur les symptômes de l’autisme ?

Un naturopathe de Vancouver, Jason Klop, a créé
une polémique en pratiquant des transplantations fécales sur des enfants avec autisme dans une clinique au Mexique, facturant quelque 15 000 dollars
américains. Sur Facebook, le Canadien affirme avoir traité des enfants en utilisant des pilules et des liquides fabriqués à partir de selles d’adolescents et avoir constaté des améliorations spectaculaires des symptômes du trouble du spectre de l’autisme.

À ce jour, une seule étude exploratoire menée à
l’Université de l’Arizona a suggéré que la TMF pourrait aider à améliorer les symptômes de ce trouble.
En 2017, les chercheurs ont remplacé la flore intestinale de 18 enfants atteints, les suivant en parallèle avec un groupe de contrôle. Les chercheurs ont observé une nette amélioration des problèmes gastro-intestinaux. De plus, des symptômes comme les difficultés de socialisation ont aussi diminué dans certains cas.

La transplantation se pratique par voie orale avec de grosses gélules gastro-résistantes (qui ne se délitent pas dans l’estomac), à raison de 15–20 unités quotidiennes, pendant deux jours, sous surveillance à l’hôpital. Ou encore, par endoscopie ou sonde naso-duodénales. Par

voie basse, la TMF peut être effectuée par colposcopie ou lavement rectal. « Le choix se fait en fonction du diagnostic
et des possibilités selon les caractéristiques du patient »,
spécifie Tatiana Galperine.

Pas une solution miracle

Actuellement, le site web ClinicalTrials.gov, qui recense les essais cliniques en cours dans le monde, en dénombre plus de 300 impliquant la TMF. Plusieurs études suggèrent une certaine efficacité dans le traitement des maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI), où les recherches sont les plus avancées. Les pathologies neurologiques (autisme, dépression, Parkinson, sclérose en plaques… ), cardio-vasculaires, oncologiques, rhumatologiques, liées à l’axe intestin-cerveau, mais aussi le diabète et l’obésité pourraient également bénéficier de la TMF, soutient Tatiana Galperine.

La cheffe de clinique met cependant en garde : « Nous recevons beaucoup d’appels de gens qui croient que la TMF est la solution miracle à leurs problèmes. Très médiatisée, souvent présentée de façon simpliste, elle doit être extrêmement encadrée. D’autant que nous avons encore des difficultés à bien saisir le fonctionnement du microbiote. » Dans la littérature, l’hypothèse la plus communément avancée est que le microbiote du donneur pourrait occuper l’espace libéré après le traitement antibiotique, empêchant ainsi Clostridioides difficile de recoloniser le côlon, entrant en compétition avec lui.

Collaborant avec le CHUV, médecin adjointe au Service des maladies infectieuses aux HUG, Benedikt Huttner souligne que le risque d’induire certaines maladies auto-immunes et la transmission de pathogènes du donneur ne peut pas être exclu à 100%. Il rappelle qu’aux États-Unis, un patient est mort à la suite d’une TMF en juin dernier. «Dans ce cas, la recherche de bactéries multirésistantes chez le donneur avant la transplantation n’a pas été faite. En Suisse et en Europe, la présence de ce type de bactéries constitue une raison d’exclusion de donneurs potentiels. » /



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