Innovation
Texte: Bertrand Tappy

Opérer avant la naissance

Aujourd’hui, il est possible de réaliser des interventions sur des fœtus sans ouvrir le ventre de la mère. Présentation de la chirurgie fœtale au laser, une discipline aussi impressionnante que révolutionnaire.

Ils ont les yeux rivés sur le petit écran en face d’eux. Pour le néophyte, le moniteur qui attire autant l’attention des gens présents dans la pièce affiche ce qui ressemble à une plongée sous-marine en milieu hostile: on ne voit pratiquement rien devant nous, et il semble impossible de savoir si ce que l’on regarde est le plafond ou le plancher de l’étrange cavité qui s’étale sous nos yeux. Pour achever l’incongru du spectacle, on aperçoit dans le bas de l’écran une petite tige qui se balade et semble effacer un réseau de fins vaisseaux à peine visibles sur les bords de cette étrange caverne.

Les premières interventions ont permis de traiter des tumeurs in utero, de corriger des sténoses urinaires ou cardiaques des fœtus.

Soudain, une main apparaît. Petite, fragile, encore enveloppée de ce duvet propre aux humains qui sont encore à l’abri dans le ventre de leur mère. Et un peu plus loin, une tête, puis encore une autre, comme flottant au milieu de ce décor irréel. Et c’est devant le spectacle de ces yeux encore clos que l’on comprend enfin ce que l’on est en train d’admirer: l’intérieur d’un utérus et deux vies qui prennent forme petit à petit dans le placenta. Voici le terrain d’activité de cette discipline pas comme les autres: la chirurgie fœtale laser in utero.

Des interventions comme celle-ci, David Baud, médecin au sein du Département de gynécologie-obstétrique du CHUV, en pratique un peu plus d’une vingtaine chaque année. Le plus souvent en tandem avec le second spécialiste du domaine en Suisse, Luigi Raio, de l’Hôpital de l’Ile à Berne. En effet, les deux hôpitaux collaborent étroitement dans cette médecine de pointe pour traiter des petits patients de toute la Suisse et d’autres pays d’Europe.

«Dans plus de 90% des situations, nous traitons des cas dits de «transfuseur-transfusé» (lire encadré), explique David Baud. Ces interventions ont lieu la plupart du temps en urgence, après le diagnostic du syndrome par les gynécologues en cabinet. Nous pouvons opérer dès la 14e semaine de grossesse, mais ce n’est pas le plus facile car les fœtus sont minuscules. Plus tard dans la grossesse, le liquide amniotique dans lequel nous opérons devient naturellement trouble, et cela nous complique singulièrement la tâche.»

Une fois le diagnostic posé, il n’y a pas d’alternative à l’intervention chirurgicale. Avec plus de 90% de risque de mortalité pour les deux bébés, le syndrome «transfuseur-transfusé» était jusque dans les années 2000 synonyme de mort quasi certaine, ou au mieux une survie d’un seul jumeau, avec le risque de graves séquelles neurologiques.

Avec les premières interventions sous foetoscopie, les choses se sont sensiblement améliorées. Aujourd’hui, l’issue est favorable pour les deux enfants dans 70% des cas, et pour au moins un des bébés dans 90% des cas. «Une fois l’opération terminée, il y a toujours un risque que la poche des eaux se rompe ou que l’utérus contracte et provoque un accouchement prématuré.» Dès les années 2000, les progrès technologiques ont permis de développer un appareil léger et efficace combinant, sur un diamètre d’à peine 2 millimètres, la fibre laser, la caméra, la lumière et l’injection d’eau.

Cette nouvelle discipline n’en est qu’à ses débuts: les premières interventions de chirurgie foetale ont permis de traiter des tumeurs in utero, de corriger des sténoses urinaires ou cardiaques des foetus. Ces premiers essais, auxquels l’équipe de David Baud participe, laissent entrevoir un catalogue de nouvelles possibilités d’améliorer – ou de sauver – la vie de ceux qui ne sont pas encore nés. ⁄

Apr 25, 2016

Follow Up

David Baud du CHUV et Luigi Raio de l'Inselspital ont réalisé ensemble un exploit rarissime : ils sont parvenus à faire régresser une tumeur pulmonaire qui menaçait la vie du bébé.

Cette fois-ci, le défi était encore plus grand. Une tumeur pulmonaire comprimait le c ur d’un bébé de moins de six mois, ne lui laissant aucune chance de survie. Le 22 février 2016, après une discussion intensive avec les parents, les deux chirurgiens se lancent dans l’opération de la dernière chance.­

Guidés par échographie, ils parviennent au laser à coaguler les vaisseaux qui nourrissent la tumeur. L’intervention est particulièrement délicate, car elle a lieu dans le corps du f tus, à proximité immédiate du c ur et de l’aorte (1-2 millimètres). Mais elle réussit. La tumeur se résorbe, le c ur se remet bientôt à battre normalement et le poumon sain à prendre le dessus. Le bébé, un garçon, est venu au monde en bonne santé le 13 avril dernier.

C’est la première opération de ce genre en Suisse. Dans le monde entier, seuls 17 cas ont été décrits, avec des résultats mitigés jusqu’ici.

Cette première n’aurait pas été possible sans l’étroite collaboration des équipes des deux ­centres universitaires suisse, pionniers dans ce type de médecine hautement spécialisée. Cette collaboration est un modèle du genre qui permet de partager les connaissances et technologies au service des patients. Comme quoi, un laser peut aussi percer la barrière de rösti !­ ­­­



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​Autres applications

En chirurgie fœtale, le laser peut également permettre de coaguler les vaisseaux qui nourrissent une tumeur.

Tumeurs saccro-coccygiennes

Masses qui poussent à l’extrémité de la colonne vertébrale.

Tumeurs pulmonaires

Tumeurs qui atteignent le poumon du fœtus, empêchant par compression la croissance du poumon sain.

Chorio-angiome

Tumeur qui se développe dans le placenta, et qui «vole» du sang au fœtus.

​Le syndrome «transfuseur-transfusé»

Le syndrome «transfuseur-transfusé» survient dans les grossesses de jumeaux homozygotes – les «vrais jumeaux» qui partagent le même placenta – à n’importe quel moment du développement des fœtus. «Le problème survient lorsque l’un des deux bébés s’accapare la grande majorité du flux sanguin à cause d’une anomalie dans les vaisseaux du placenta, explique David Baud.

Les effets sont radicaux: l’un des deux bébés devient «obèse» avec une vessie beaucoup trop imposante pour son âge et un cœur insuffisant, tandis que le second bébé devient tout petit, repoussé dans un coin du ventre de la mère par la membrane amniotique.» L’intervention consiste donc à brûler les vaisseaux responsables du déséquilibre pour rétablir une circulation fœto-placentaire normale. «La difficulté principale est de choisir le meilleur point d’entrée avec l’aide de l’imagerie et de notre expérience, continue David Baud. Si c’est réussi, vous trouverez rapide- ment les vaisseaux autour du cordon ombilical et les bébés ne seront pas trop en souffrance. Ratez votre entrée, et vous pouvez vous préparer à une longue et pénible intervention...»