Décryptage
Texte: Charlotte Mermier

Une molécule, une histoire / Ode à la diversité génétique: le cas de l’isoniazide

L’accroissement des connaissances sur l’ADN a généré des avancées significatives en médecine, notamment grâce à une meilleure compréhension des maladies génétiques, qui ouvre aussi d’autres perspectives : la connaissance de certains gènes d’un patient pourrait permettre d’adapter ses traitements à ses caractéristiques génétiques. Telles sont du moins les promesses de la « médecine personnalisée ».

Chaque individu est doté d’un génome – c’est-à-dire l’ensemble de ses gènes – unique. Les gènes, porteurs de l’information génétique, sont responsables de la transmission des caractères héréditaires tels que les traits physiques, physiologiques ou certaines maladies.

Au sein d’une population, plusieurs versions d’un même caractère peuvent exister (par exemple les yeux bleus, marron ou verts). C’est ce qu’on appelle le polymorphisme génétique, qui participe à la diversité génétique d’une population.

Lorsque les gènes sont responsables de pathologies, on voit leur impact direct sur la santé. Mais leur influence est parfois moins évidente à première vue : « Au début du XXe siècle, un médecin britannique, Archibald Garrod, découvre une anomalie héréditaire qui modifie la couleur de l’urine et démontre qu’elle est due à un défaut génétique affectant une enzyme, explique Thierry Buclin, médecin-chef du Service de pharmacologie clinique du CHUV. C’était un visionnaire ! Il prédit que les enzymes font partie du bagage héréditaire, et que la manière dont maintes substances sont métabolisées dépend de notre constitution génétique. Les gènes peuvent également altérer la réaction des patients à certains médicaments : le concept de polymorphisme pharmacogénétique est né. »

L’illustration inaugurale d’un tel polymorphisme a été apportée par le cas de l’isoniazide, premier antituberculeux actif par voie orale, introduit dans les années 1950. « À l’époque, les médecins remarquent que l’élimination de l’isoniazide diffère en fonction des patients. Ils découvrent que cela est dû à une disparité au niveau du fonctionnement de l’enzyme normalement responsable de son élimination, et confirment l’origine génétique de cette disparité », précise Thierry Buclin. Chez les métaboliseurs lents, des voies métaboliques accessoires interviennent pour éliminer le médicament, mais sa concentration reste plus élevée dans le sang et plus de dérivés toxiques sont formés.

Les porteurs de l’enzyme inefficace semblent donc désavantagés par leur version génétique. Mais il s’avère que certaines substances présentes dans la nature deviennent toxiques justement sous l’action de cette même enzyme, désavantageant les métaboliseurs rapides. La version inactive devient alors un bénéfice pour les porteurs. « C’est probablement là que réside l’intérêt biologique des polymorphismes génétiques. L’hétérogénéité entre individus fait qu’il y a toujours une partie de la population qui survit dans un environnement changeant », conclut Thierry Buclin. L’histoire
de l’isoniazide, un hymne à la diversité ? /



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