Décryptage
Texte: Rachel Perret
Photo: Gilles Weber (SAM)

Détecteurs de maltraitance infantile

Au sein des hôpitaux vaudois, les professionnels de la santé ont l’obligation légale de signaler les cas de maltraitance infantile. Le CHUV s’est doté d’un modèle pluridisciplinaire de détection et de prévention.

En 2016, le Service vaudois de la protection de la jeunesse (SPJ) a reçu 1'689 signalements d’enfants maltraités et potentiellement en danger dans leur développement, dont 16% provenaient des autorités médicales. Au CHUV, la responsabilité du signalement est confiée au CAN (Child Abuse and Neglect) Team du Service de pédiatrie. Cette équipe est composée de pédiatres, d’intervenants psycho-sociaux, de psychologues et d’infirmiers-ères.

«Le degré de mise en danger de l’enfant dans son développement et le caractère chronique de la maltraitance figurent au premier plan des critères d’appréciation menant à un signalement, souligne Jean-Jacques Cheseaux, responsable du CAN Team. Mais nous nous penchons aussi sur la situation des parents. Ont-ils les moyens et les compétences pour remédier seuls à une situation difficile? Sont-ils prêts à accepter de l’aide? Si notre priorité reste les besoins de l’enfant, nous accordons également une attention à la souffrance des parents pour comprendre ce qui se passe et pour proposer une orientation adéquate. Si les parents ne vont pas bien, les enfants ne vont pas bien non plus.»

Au CHUV, ce constat a abouti à l’instauration d’une collaboration étroite avec l’Unité de médecine des violences (UMV) et avec Les Boréales, une consultation du Département de psychiatrie destinée aux personnes (enfants et adultes) ayant vécu des violences intrafamiliales.

Depuis 2010, toutes les situations dans lesquelles des enfants sont impliqués sont signalées au CAN Team.

«L’objectif est de limiter les répercussions délétères que peut avoir la violence conjugale sur les enfants et de mettre en place les mesures de protection nécessaires, tant sur le plan somatique que psychique», commente Jean-Jacques Cheseaux.

Conséquences lourdes

Les cas d’exposition d’enfants à la violence domestique représentent les deux tiers des situations vues par le CAN Team. «Il s’agit de maltraitance psychologique, mais dont les conséquences sont identiques à la violence physique», complète Sarah Depallens, médecin associée au CAN Team et à la Division interdisciplinaire de santé des adolescents (DISA). À long terme, la maltraitance a pour conséquence le développement de maladies somatiques (obésité, diabète, dépendances) ou de troubles psychiatriques avec un risque de suicide nettement accru. «Il est aussi démontré que les enfants et les adolescents ayant vécu dans un contexte violent risquent non seulement de subir davantage d’autres types de violences, mais aussi d’adopter eux-mêmes des comportements violents à l’âge adulte.» Pour Sarah Depallens, les enjeux liés à la détection et à la prévention de la maltraitance sont donc individuels autant que sociétaux.

Sarah Depallens, pédiatre du CAN Team, explique les implications de l’obligation légale de signaler les suspicions de maltraitance sur la pratique des professionnels de la santé.

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Prévention à l'hôpital

Depuis 2013, le CAN Team se déploie dans tout le canton pour former les professionnels, notamment les infirmiers-ères et les pédiatres, à la détection de la maltraitance infantile. «Nous avons une permanence téléphonique pour informer et orienter. Nous proposons également de participer aux consultations de nos confrères installés, s’ils le souhaitent», indique Jean-Jacques Cheseaux.

Mais une partie importante de ce travail d’information et de prévention se déroule au sein même de l’hôpital. «La plupart des patients du CHUV relèvent de la médecine adulte. Nous encourageons nos collègues à être réceptifs à leur fragilité et aux situations où un enfant pourrait être exposé à des difficultés familiales. Cela vaut toujours la peine de nous en parler», affirme le pédiatre. Trois fois par semaine, son équipe participe à des colloques pluridisciplinaires réunissant les services de pédiatrie, la médecine des violences, la néonatalogie et la maternité.

«Pour nos collègues pédiatres ou infirmiers, il s’agit de ne pas passer à côté de fractures ou de blessures atypiques, rappelle Sarah Depallens. Ces professionnels seront parfois aussi les seuls qui auront l’occasion de voir l’enfant déshabillé et de relever la présence de lésions. Avec les sages-femmes et les gynécologues, nous nous situons dans le champ de la prévention. Il s’agit d’être attentifs au bien-être de la future maman et aux conditions psycho-sociales dans lesquelles elle va accoucher. Au fond, l’histoire d’un enfant débute bien souvent à l’hôpital. Nous avons l’opportunité d’agir avant sa naissance en soutenant les futurs parents et en organisant un suivi.»

La crainte de trop en faire

Une difficulté rencontrée par le CAN Team tient aux réticences de leurs pairs à leur signaler une situation, une démarche jugée parfois intrusive. Jean-Jacques Cheseaux précise qu’un signalement n’est pas une accusation et que toutes les situations adressées au CAN Team n’aboutissent pas à un signalement à la justice.

«Nous sommes toujours sur le fil, entre le trop en faire et la peur de manquer quelque chose.»

«La règle que nous suivons est de ne pas coller d’étiquettes sur les parents ou les futurs parents, mais d’être à leur écoute. Il y a un risque que le lien se rompe entre le médecin et les parents, lorsqu’une situation est signalée. Mais face à l’enjeu pour l’enfant et à l’opportunité d’aider une famille, c’est un risque qui se justifie et que nous devons prendre.»



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Ci-dessus:

Jean-Jacques Cheseaux, responsable du Child Abuse and Neglect (CAN) Team du CHUV.

570

situations impliquant des enfants ont été traitées par le CAN Team du CHUV en 2017, et 149 ont fait l’objet d’un signalement à la justice.

31%

des signalements de maltraitance infantile reçus en 2016 par le SPJ provenaient des autorités de police, 16% des autorités médicales et 14% des autorités scolaires.