Décryptage
Texte: Bertrand Tappy

Une molécule, une histoire: Holoclar

Face aux maladies rares, les chercheurs peuvent déposer des brevets pour des thérapies à base de cellules souches. L’exemple d’Holoclar.

25 ans: c’est le temps qu’il aura fallu à une équipe de l’Université de Modène (I) pour parvenir à commercialiser Holoclar, un traitement de la déficience en cellules limbiques de la cornée. Situées à la base de la cornée, ces cellules assurent normalement que cette dernière soit recouverte d’un épithélium (tissu) parfaitement transparent. Leur disparition, suite à un traumatisme ou à une brûlure par exemple, résulte en une opacification de la cornée, qui devient laiteuse et rend la personne atteinte aveugle. Depuis peu, la firme Chiesi offre ainsi un service allant de la récolte de cellules souches limbiques restantes chez le patient à leur amplification in vitro et enfin à la livraison d’un greffon autologue prêt à être implanté dans l’œil lésé. L’indication est suffisamment rare pour que le traitement soit considéré comme «orphelin». Mais si la quête fut si longue, ce n’est pas seulement à cause du défi scientifique: la technique fut moins un obstacle pour l’équipe de la Prof. Graziella Pellegrini que les 20 ans nécessaires à l’obtention des autorisations de vente.

Mais pourquoi ont-ils dû passer toutes les étapes de ce processus? Tout simplement parce que la législation a évolué: depuis une dizaine d’années, tout appareil médical et toute technique de traitement doivent suivre le cheminement qui était autrefois l’apanage du seul médicament. Au standard actuel, un centre de production cellulaire doit en effet pouvoir garantir un processus sûr, standardisé et donc dûment homologué, validé et contrôlé.

«Le concept de médicament continue à évoluer, explique le Prof. Thierry Buclin, chef de la Division de pharmacologie clinique du CHUV. On entend parfois dire que le marché du médicament est asséché. C’est inexact! Je pense plutôt que la créativité dans ce domaine est en train de se réinventer. Les blockbusters – produits rapportant un milliard par année – seront de moins en moins des médicaments mettant tous les patients à la même enseigne comme l’aspirine ou le viagra. Il s’agira plutôt de modes de production qui permettront de décliner toute une gamme de produits, éventuellement associés à des dispositifs techniques, de manière différente pour soigner chacun de façon précise et individuellement ajustée. Seul revers de la médaille, ce type d’approche se paiera au prix fort.»

Dans cet immense brassage d’intérêts médicaux, scientifiques et commerciaux, les partenariats publics-privés à l’image d’Holoclar – qui vient d’obtenir les autorisations de distribution à l’échelon européen – ont une belle carte à jouer. L’Arc lémanique n’est pas démuni de ressources pour affronter ces nouveaux défis. Mais peut-être faudra-t-il commencer par inventer pour nos décideurs un médicament contre l’impatience… /



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