Auparavant mis au ban de la société, la communauté transsexuelle se fait reconnaître de plus en plus de droits. Témoignage d’une femme, née homme, qui a vécu cette évolution sociétale.
Toute sa jeunesse, Michelle Biolley a dissimulé la vérité aux yeux de tous. Personne ne connaissait son secret, ni ses amis ni ses professeurs, surtout pas sa famille. Pourtant, elle souffrait: née dans la peau d’un garçon, elle savait qu’elle était une femme: «J’avais ce truc entre les jambes, je ne savais pas quoi en faire», explique-t-elle. Le problème: Michelle Biolley a grandi au mauvais endroit, un petit village proche de Winterthour. Et au mauvais moment. «C’était les années 1980, je ne pouvais rien dire, explique-t-elle. Là où j’ai été élevée, dans une société agraire, on ne pouvait pas aborder ce genre de question.»
Mais, aujourd’hui, la situation a radicalement changé pour les personnes transsexuelles. La star américaine Caitlyn Jenner fait la une de «Vanity Fair». La chanteuse Conchita Wurst met sens dessus dessous les conceptions du genre. Amazon a même produit une série TV, «Transparent», qui documente le processus du changement de sexe. «On a parcouru un tel chemin», raconte, soulagée, Michelle Biolley.
«La discrimination officielle de cette catégorie de la population a commencé dès la seconde moitié du XIXe siècle, explique Susan Stryker, une chercheuse de l’Université de l’Arizona qui a rédigé un ouvrage à ce sujet, «Transgender History». Les médecins ont pour la première fois considéré les personnes qui souffraient de dysphorie du genre (le terme médical contemporain, ndlr) comme malades. On pouvait vous envoyer dans un asile ou en prison!» Les premiers regroupements politiques pour la défense des droits des transgenres ont alors émergé, notamment à New York et à Berlin.
Mais, dans les années 1990, tout a changé. Le militantisme transgenre s’est intensifié et la conception sociale du transsexuel s’est modifiée.
Ce n’est qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que la question transsexuelle est à nouveau abordée de manière positive. L’histoire de l’Américaine Christine Jorgensen dévoile le phénomène au grand public: ancien GI, elle devient en 1952 la première personne ayant subi une chirurgie de réattribution sexuelle à aborder son récit publiquement.
A la même époque, la médecine s’est aussi mise à se pencher sérieusement sur le phénomène. Le terme «transsexuel » a été inventé en 1949. Des centres médicaux spécialisés voient le jour. Et l’endocrinologue américain Harry Benjamin publie en 1966 le premier ouvrage de référence sur le sujet intitulé «The Transsexual Phenomenon».
Mais cette tendance s’est renversée dans les années 1970. «Les mouvements féministes et gays critiquèrent fortement les transsexuels, explique Susan Stryker. Etre trans était à nouveau perçu comme une maladie.» Toute une série de centres hospitaliers spécialisés sur les questions transsexuelles ont fermé.
Ce climat néfaste dura plusieurs décennies. Et pesa sur Michelle Biolley jusqu’au début des années 1990. Jeune ado, elle partait en cachette consulter des livres sur les transsexuels à Zurich. Un jour, elle se rend à Berlin où elle rencontre les premiers groupes trans de sa vie. De retour en Suisse, elle décide enfin de parler à un médecin. Celui-ci l’envoie consulter les experts d’un centre médical spécialisé à Bâle.
«Les employés m’ont humiliée, se rappelle-t-elle. On m’a sorti tellement d’aberrations.» On lui conseille de porter des minijupes, des hauts talons et de beaucoup se maquiller «pour se faire accepter par la communauté ». On lui demande si «elle veut avoir des gros seins, car les femmes transsexuelles aiment les gros seins». Une thérapeute lui dit «qu’elle est un si beau garçon qu’elle ne comprend pas pourquoi elle veut devenir une femme». «Après quatre ans de thérapie, les psychiatres me conseillaient toujours de revenir sur ma décision, j’ai donc décidé de prendre en charge ma transition moi-même», explique Michelle Biolley. En 1995, elle commande des hormones en ligne. Et transforme son corps sans l’aide de personne.
Mais, dans les années 1990, tout a changé. Le militantisme transgenre s’est intensifié et la conception sociale du transsexuel s’est modifiée. «Une nouvelle notion du ’futur’ a vu le jour, explique Susan Stryker. Les gens se sont à nouveau mis à s’enthousiasmer pour la technologie. Le transsexuel est devenu un symbole de progrès, comme s’il s’agissait d’un corps futuriste, modifié par la science.»
«L’exposition médiatique a fait un bien fou à notre communauté et a fait gagner en visibilité à notre cause», dit Henry Hohmann, le président du Transgender Network Switzerland, l’association faîtière qui défend les droits des transsexuels helvétiques.
Et, dans les années 2000, «la génération Y, plus tolérante envers les questions de genre, est devenue adulte», explique l’universitaire. Résultat, les transsexuels sont de plus en plus présents dans les médias. Des films et des séries télévisées abordent la question. Des célébrités transsexuelles s’affichent. «L’exposition médiatique a fait un bien fou à notre communauté et a fait gagner en visibilité à notre cause», dit Henry Hohmann, le président du Transgender Network Switzerland, l’association faîtière qui défend les droits des transsexuels helvétiques.
En Suisse, l’assurance maladie de base est désormais obligée de couvrir les frais engendrés par une transition. Et les conditions pour obtenir un changement de nom ou de genre sur son passeport sont de plus en plus flexibles. «Durant les cinq dernières années, les choses ont beaucoup changé, explique Friedrich Stiefel, le chef du Service de psychiatrie de liaison au CHUV. Il fallait auparavant avoir au minimum 25 ans pour subir une opération de réattribution sexuelle, ce qui n’est plus le cas. Et il fallait obligatoirement suivre deux ans d’accompagnement psychiatrique. C’est plus flexible aujourd’hui. Les décisions se prennent au cas par cas.» Les jeunes transsexuels n’ont plus peur d’en parler et de demander une transition. «Mes patients sont de plus en plus nombreux et de plus en plus en jeunes», témoigne Olivier Bauquis, un chirurgien spécialisé en réattribution sexuelle au CHUV.
Le CHUV réalise une opération au minimum par semaine
Mais la situation est encore loin d’être parfaite. «Les personnes trans devraient avoir le choix de changer leur nom et leur genre sur leur passeport sans avoir besoin de consulter un psychiatre », estime Henry Hohmann. Certaines personnes souffrent encore de discrimination: «Des gens se font encore insulter dans la rue, dit-il. La haine et l’incompréhension n’ont pas disparu.» Cela a un impact sur la carrière des personnes qui changent de genre. «En 2014-2015, 20% des personnes qui ont effectué une transition ont perdu leur emploi à cause de ce choix», explique Henry Hohmann.
Il se plaint aussi de la pénurie de soins liés à une transition. «Trop peu de centres hospitaliers proposent l’opération en Suisse, dit-il. Et ceux qui le font, en effectuent trop rarement. Le personnel n’a donc pas l’expertise nécessaire.»
Olivier Bauquis, qui pratique des opérations de réattribution sexuelle au CHUV depuis 2007, abonde dans ce sens: «Comme il n’y a pas beaucoup de centres qui pratiquent ce genre d’opérations correctement, nous, au CHUV, recevons trop de demandes. Nous réalisons au minimum une intervention liée au changement de sexe par semaine. C’est trop pour notre petite équipe.» Le traitement n’est pas non plus bien vu au sein de la communauté médicale: «Certains soignants et médecins estiment qu’il est contre nature de faire ce genre d’opérations, explique le chirurgien. C’est une pression difficile à gérer.»
Pour les personnes qui ont pu faire leur transition, la vie est bien plus simple. Aujourd’hui, Michelle Biolley se sent désormais bien dans sa peau. Elle est devenue vidéaste et milite pour la cause transgenre. Elle est heureuse. ⁄
Christine Jorgensen, née George William Jorgensen Jr. le 30 mai 1926 à New York, est la première personne connue à avoir subi une opération chirurgicale de réassignation sexuelle. Son histoire fait le tour du monde: la jeune femme se retrouve sur la couverture de tous les magazines de la planète, et un film hollywoodien s’inspirant de son histoire est réalisé.
Elle choisit le prénom de Christine en l’honneur de Christian Hamburger, le chirurgien danois qui l’opéra.
La fille de Cher et de Sonny Bono a la particularité d’avoir grandi en ayant été scrutée par la presse.Auparavant lesbienne, Chaz Bono débute une courte carrière de musicien avant de devenir militant pour les droits LGBT. Il entame sa transition en 2008.
Champion olympique du décathlon en 1976, Bruce Jenner représentait le cliché du mâle alpha américain. Marié à Kris Kardashian, il a participé durant des années à l’émission de téléréalité «L’Incroyable Famille Kardashian». En avril 2015, Bruce Jenner avoue qu’il se considère comme une femme. Il se retrouve en couverture du magazine américain «Vanity Fair», où il dévoile sa nouvelle identité et s’appeler Caitlyn, devenant une icône de la communauté transsexuelle.
Véritable sensation dans les milieux de la haute couture, Andrej Pejic a défilé en tant qu’homme durant des années tant pour les collections masculines que féminines, profitant de son apparence androgyne. En 2014, elle devient officiellement une femme transsexuelle, nommée Andreja.
Lana Wachowski et son frère Andy sont à l’origine de la trilogie des films «Matrix». Elle a secrètement entamé sa transition en 2002 et a révélé sa nouvelle identité en 2012.
Michelle Biolley, homme devenue femme, milite pour les droits des transgenres.
Le chirurgien Olivier Bauquis réalise une intervention liée au changement de sexe par semaine.