Décryptage
Texte: Jean-Christophe Piot
Photo: Olivier Vogelsang / Tamedia Publications

Les défis du grand âge

Toujours plus nombreuses, les personnes âgées de 80 ans et plus nécessitent une prise en charge médicale tenant compte de leur fragilité.

En pleine semaine, cette matinée est plutôt calme aux urgences du CHUV lorsqu’une ambulance se présente avec à son bord une patiente âgée, victime d’une chute. Rapidement prise en charge par le gériatre de garde, la vieille dame subit une première série d’examens destinés à évaluer son état: entretien, prise de sang, radios.

«Cette évaluation initiale est impérative pour mesurer l’état de santé général de cette patiente et lui apporter une réponse médicale immédiate si nécessaire, explique Andreina d’Onofrio, infirmière clinicienne spécialisée au sein du Service de gériatrie du CHUV. L’objectif suivant consiste à comprendre dans quel état se trouvait cette dame avant son accident.» A 81 ans, seule depuis la mort de son mari, Annie vit toujours à son domicile. En grimpant sur un tabouret, elle a perdu l’équilibre et a chuté lourdement sur le côté. Elle s’est rendue à l’hôpital sur les conseils de sa femme de ménage. Cette dernière complète les réponses d’Annie auprès du personnel soignant; l’équipe cherche à déterminer si cette chute est la première, si Annie a pu se relever seule, si elle a ou non connu des problèmes d’équilibre ces derniers temps.

Son état ne nécessitant pas de réponse médicale immédiate, Annie est orientée vers le Service de gériatrie et de réadaptation gériatrique. Se met alors en place un dispositif bien rodé, composé d’étapes successives destinées à objectiver la situation d’Annie sur la base d’une série d’indicateurs spécifiquement conçus pour les patients accueillis au sein du service. «Nous cherchons à retracer les circonstances exactes de la chute et à évaluer l’état physique et psychique d’Annie pour fournir aux gériatres une série d’éléments objectifs qui leur permettront de dresser leur diagnostic, précise Andreina d’Onofrio. Avant de proposer la prise
en charge la mieux adaptée.»

30% des personnes de plus de 90 ans sont touchées par la maladie d’Alzheimer.

Au cours des quelques jours qui suivront, Andreina d’Onofrio et ses collègues vont progressivement évaluer l’état d’Annie sur la base de huit échelles destinées à mesurer une multitude de critères: hyperactivité ou atonie, problème nutritionnel, déshydratation, signes d’un état dépressif… Un travail méthodique qui permet de déterminer la stratégie la plus adaptée et d’évaluer la future orientation d’Annie, entre retour au domicile ou placement dans une structure de long séjour. Bien remise, elle pourra alors rentrer chez elle, équipée de la canne conseillée par les médecins.

Le défi de la perte d’autonomie

Le cas d’Annie n’a rien de rare à l’entrée dans le quatrième âge – une notion complexe, à en croire Christophe Trivalle, gériatre à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif et auteur de l’ouvrage «Vieux et malade: la double peine!» (L’Harmattan, 2010). «La définition de la grande vieillesse ne se réduit pas à un chiffre, d’autant que le déclin biologique apparaît plus tardivement qu’avant, jusqu’à ce qu’une dégradation souvent brutale ne vienne les priver de leur autonomie».

Ce que nous désignons comme le quatrième âge correspond au moment où les restrictions physiques limitent très fortement les activités normales du quotidien: se lever, manger, se coucher, aller aux toilettes, faire ses courses, se préparer à manger. La vie quotidienne devient toujours plus difficile à affronter, souvent au détriment de la qualité de la vie sociale. Le tournant se situe aux alentours de 83 ans, âge moyen à partir duquel une majorité des Suisses deviennent vulnérables. Tout l’enjeu du séjour d’Annie au CHUV consiste précisément à estimer son degré de fragilité et à évaluer sa capacité à retrouver la même vie quotidienne.

Un enjeu social et médical d’autant plus essentiel que la collectivité doit faire face au défi économique que représente l’explosion de la population des patients de plus de 85 ans: en Suisse, 20% des coûts de santé sont consacrés aux malades de 80 ans et plus, alors que cette classe d’âge ne représente que 5% de la population helvétique. Et si ces derniers figurent, derrière les Américains et les Norvégiens, dans les trois populations les plus protégées du monde à en croire l’OCDE, l’augmentation de leur nombre posera des problèmes de plus en plus aigus. Si «vieillir n’est pas une maladie», comme le rappelle Christophe Trivalle, le grand âge est lié à un phénomène de polypathologie: «Les personnes âgées se caractérisent par l’addition de plusieurs maladies dont la fréquence augmente avec l’âge.» Au diabète ou à l’hypertension viennent s’ajouter des affections neurodégénératives dont la fréquence ne fait que monter avec l’âge: 30% des personnes de plus de 90 ans sont touchées par la maladie d’Alzheimer.

Patients et soignants s’accordent sur un point: le départ du domicile doit intervenir le plus tard possible. «Eviter ou réduire le temps de dépendance est essentiel sur le plan humain, sans même parler de l’aspect économique», insiste Christophe Trivalle. «Il faut permettre à ces personnes âgées de retrouver un sentiment de bien-être malgré le déclin physique, quitte à adapter leurs modes de vie et à réinventer un équilibre avec leur environnement.» Une question étroitement liée à la place des personnes âgées dans nos sociétés et au regard que nous portons sur eux.



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Qui sont les grands vieillards?

Le grand âge est marqué par une forme d’inégalité face à la santé et à la mort. En vieillissant, la population se féminise: au-delà de

80 ans, on compte presque deux fois plus de femmes (64 %) que d’hommes
(36 %). Si ces derniers jouissent d’une santé légèrement meilleure que celle des femmes, ils déclinent
et meurent plus vite.

Aidants et soignants en premiere ligne

Pour le personnel soignant comme pour les médecins, l’épuisement guette face au grand âge. Les patients peuvent se montrer désorientés, angoissés et parfois agités, sinon agressifs: perfusions arrachées, pincements, morsures… Un quotidien qui demande des qualités d’écoute et de persévérance hors du commun.

Un défi psychiatrique

Si l’âge du départ à la retraite est une première période propice aux dépressions, la psychiatrie du grand âge fait face de son côté à d’autres difficultés. Les praticiens sont souvent contraints de réduire les traitements médicamenteux, les effets secondaires de certaines molécules pouvant aggraver l’état physique des patients très âgés.