Chronique
Texte: Charlotte Mermier

L’hydroxyurée, un potentiel insoupçonné

Une molécule, une histoire: l'hydroxyurée

En 1869, deux chimistes synthétisent la molécule d’hydroxyurée, lors d’un exercice de chimie organique (une discipline alors naissante). Pendant ses cinquante premières années d’existence, son potentiel reste inconnu. Ce n’est qu’en 1928 qu’on lui découvre des propriétés biologiques: «Des scientifiques montrent que l’hydroxyurée est toxique, car elle provoque une diminution du nombre de globules rouges et blancs dans le sang. Dès les années 1960, elle est donc utilisée comme médicament pour des patients souffrant d’un excès de cellules sanguines, et devient ainsi une des premières chimiothérapies contre les leucémies», explique Thierry Buclin, médecin-chef du Service de pharmacologie clinique du CHUV. Mais le destin de la molécule ne s’arrête pas là.

Dans les années 1950, les médecins comprennent le mode de transmission et le mécanisme biochimique de la redoutable anémie falciforme. Cette maladie génétique, très répandue en Afrique, se manifeste dès l’enfance par des douleurs et des gonflements des mains. Elle affecte l’hémoglobine, moyen de transport de l’oxygène dans notre organisme, qui devient susceptible chez les personnes atteintes de former des filaments, donnant aux globules rouges une forme anormale de faucille et provoquant des occlusions sanguines. «Cela peut entraîner de graves complications: anémie chronique, crises douloureuses ou encore infarctus. L’espérance de vie des patients s’en trouve diminuée», précise Thierry Buclin. Elle reste cependant intraitable durant plusieurs décennies. Mais elle finira par croiser la route de l’hydroxyurée.

Il faut en effet attendre les années 1980 pour que des médecins observent que l’hydroxyurée freine certes la fabrication d’hémoglobine, mais qu’en réaction l’organisme se remet à fabriquer une hémoglobine fœtale, qu’il ne produit normalement plus après la naissance. Or cette hémoglobine fœtale interfère avec l’hémoglobine anormale des malades et empêche la déformation des globules. C’est ainsi que l’hydroxyurée est utilisée dès les années 1990, avec une efficacité remarquable, pour prévenir les occlusions sanguines des patients souffrant d’anémie falciforme.

«Ce qui est extraordinaire dans cette histoire, c’est le temps – plus de cent ans – qu’il a fallu pour que cette molécule simplissime, plus facile à synthétiser qu’une poudre à lessive, se positionne comme salvatrice dans le cas de l’anémie falciforme», souligne Thierry Buclin.

«Cela montre bien le temps parfois impressionnant entre la découverte d’un mécanisme biologique et son utilisation effective au profit des malades.» Comme quoi, même pour une maladie dont on a élucidé la cause, pas facile de croiser la route de la molécule qui changera le destin des patients.



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